Prières à l’océan
Saint-Pol-Roux

  Océan :

Divinité de houles et de houles sur des gouffres et des gouffres,
Irascible énergie à la voix de cornoc,
Monstre glauque, semblable à quelque énorme gueule de baudroie suivie d'une incommensurable queue de congre,
Masse mouvante avec, pour âme, cette lame sourde jaillissant en lave d'un puits abyssal,
Époux de la Tempête aux griffes de noroît et cheveux de suroît,
Génie double qui souque ta victime entre vent-arrière et vent-debout,
Démon de verre cassant des vaisseaux comme on casse des noix,
Ogre aux dents de récif qui croque des tas d'hommes comme sur la terre nous croquons des pommes,
Nappe d'orgie sur quoi les flottilles sont les friandises, les escadres les gigots,
Insondable estomac où se digèrent les naufrages dont les épaves rares sur les flots figurent les os,
Diaphragme innombrable au muscle soulevé depuis les tréfonds inconnus jusqu'à l'éclair des nues,
Jungle liquide des sautes-de-vent accouplées aux brisants,
Harpagonie de trésors engloutis,
Joute des aventures d'or et des squales d'acier,
Cimetière dansant où les péris se heurtent, l'alliance au doigt,
Farouche pêle-mêle où tout se trouve - sauf un cœur, Océan...

Aux pêcheurs de Camaret, Camaret, 14 août 1927.

Saint-Pol-Roux, Prières à l’océan, in De la colombe au corbeau par le paon © Mercure de France, 1904