Le pêcheur
Zeami

 

Contre toute attente
Se voir arracher la vie
Voilà qui est, plus que traverser la mer à cheval,
Chose extraordinaire.
Aussi bien il m'est difficile d'oublier :
Sur la roche de ce banc de sable
Il m'a emmené,
Et tirant sa lame froide comme la glace
Il m'a transpercé la poitrine.
Etant transpercé et sur le point
De m'évanouir
J'ai été poussé dans la mer
Noyé dans la mer sans fond !
Par le flot qui descendait à ce moment
J'ai été emporté,
J'ai été le bois fossile qui tantôt flottait, tantôt s'enfonçait
Et qui dérivant entre les rochers, s'est accroché.
Des fonds de Fujito
En me faisant le mauvais génie
J'ai pensé me venger.
Mais vos prières inattendues
M'ont permis de monter dans la barque sainte*.
Dès lors dans la barque du salut
Je vogue, piquant
La perche que je pousse.
Je. traverse la mer de la vie et de la mort ;
Comme il a été demandé (pour moi) sans effort
J'ai atteint cette rive
Et, délivré, mon être devient buddha.
Oui, mon être est devenu buddha.


* La barque qui permet de traverser l’océan des morts et renaissances successives et d’atteindre « l’autre rive », c’est-à-dire le nirvâna.

Zeami, Le pêcheur poème dans la pièce de théâtre japonaise Fujito, in Anthologie de la poésie japonaise classique, Editions Gallimard, 1978