Maurice Ravel
"Une barque sur l'océan", dans Miroirs

Demets, 1906. Partition (34 x 26,5 cm)
BNF, Musique, Vm7 18368 (p. 15)

C'est en 1905, l'année du scandale des fauves et de la création de La Mer de Debussy, que Ravel compose Miroirs, un recueil pour piano de cinq pièces ("Oiseaux tristes", "Une barque sur l'océan", "Noctuelles", "Alborada del Gracioso", "La vallée des cloches") ; ces Miroirs "forment un recueil de pièces pour piano qui marquent dans mon évolution harmonique un changement assez considérable pour avoir décontenancé les musiciens les plus accoutumés jusqu'alors à ma manière", écrit Ravel en 1928 dans son Esquisse biographique. Miroirs fut créé par le pianiste espagnol Ricardo Vinès, le 6 janvier 1906, à un concert de la Société nationale de musique, salle Érard, à Paris. Avec Jeux d'eau (1901), le Quatuor en fa majeur (1902-1903) et Schéhérazade II (1903), Ravel était déjà entré dans la gloire.
Dédiée au peintre Paul Sordes, Une barque sur l'océan, troisième pièce dans l'ouvre publiée, mais composée en second, est d'une écriture purement pianistique - Ravel tentera d'ailleurs une orchestration, mais elle ne pourra égaler La Mer de Debussy et tombera vite dans l'oubli.
L'harmonie sonore engendre son écho visuel dans la partition, qui elle-même évoque les ondes, les vaguelettes venant mourir sur la plage, le balancement de la barque sur la mer. Le dessin des notes arpégées sur la page nous fait déjà entendre le bruit rythmé et inlassable de l'océan, suggérant le mouvement irrésistible et enthousiaste des vagues. Transposer le réel dans une autre matière et une autre lumière, et le donner à voir dans le miroir de la musique, sans aucunement faire apparaître le musicien, qui s'efface derrière ce miroir, c'est le but atteint par ce compositeur de trente ans.