Victor Hugo | ||||
La pieuvre des Travailleurs de la mer | ||||
Vers 1866. Plume, pinceau, encre brune et lavis sur papier crème (35,7 x 25,9 cm) encarté dans un feuillet (41,7 x 30 cm). | ||||
BNF, Manuscrits, NAF 24745, f. 382 | ||||
"Pour croire à la pieuvre, il faut l'avoir vue. Comparées à la pieuvre, les vieilles hydres font sourire. À de certains moments, on serait tenté de le penser, l'insaisissable qui flotte en nos songes rencontre dans le possible des aimants auxquels ses linéaments se prennent, et de ces obscures fixations du rêve il sort des êtres. L'Inconnu dispose du prodige, et il s'en sert pour composer le monstre. Orphée, Homère et Hésiode n'ont pu faire que la Chimère ; Dieu a fait la Pieuvre. Quand Dieu veut, il excelle dans l'exécrable. Le pourquoi de cette volonté est l'effroi du penseur religieux. Tous les idéals étant admis, si l'épouvante est un but, la pieuvre est un chef-d'ouvre." (Les Travailleurs de la mer, II, IV, II) Placé à l'intérieur du chapitre "Le monstre", ce dessin correspond bien à la longue description de la pieuvre : "La nuit, pourtant, et particulièrement dans la saison du rut, elle est phosphorescente. Cette épouvante a ses amours. Elle attend l'hymen. Elle se fait belle, elle s'allume, elle s'illumine, et, du haut de quelque rocher, on peut l'apercevoir au-dessous de soi dans les profondes ténèbres épanouie en une irradiation blême, soleil spectre." (Les Travailleurs de la mer, éd. Eugène Hugues, II, IV, II.) La feuille, entièrement imbibée de lavis d'encre, évoque parfaitement le milieu liquide. Ce dessin n'était pas prévu pour figurer dans le manuscrit puisqu'il était d'un format plus vaste et que toute la partie inférieure en a été découpée (un fragment inédit en est conservé dans une collection particulière). Avec Les Travailleurs de la mer, Victor Hugo allait populariser un nouveau mot, celui de "pieuvre" ; utilisé seulement dans le vieux parler normand, ce terme allait désormais se retrouver dès 1866 sous la plume de George Sand, puis de Maupassant, et tendre à supplanter celui de poulpe, usité jusqu'alors. | ||||