La fuite du malheur
 

Pendant toute la traversée ils raisonnèrent beaucoup sur la philosophie du pauvre Pangloss. « Nous allons dans un autre univers, disait Candide; c'est dans celui-là, sans doute, que tout est bien. Car il faut avouer qu'on pourrait gémir un peu de ce qui se passe dans le nôtre en physique et en morale. - Je vous aime de tout mon cœur, disait Cunégonde; mais j'ai encore l'âme toute effarouchée de ce que j'ai vu, de ce que j'ai éprouvé. - Tout ira bien, répliquait Candide; la mer de ce nouveau monde vaut déjà mieux que les mers de notre Europe; elle est plus calme, les vents plus constants. C'est certainement le nouveau monde qui est le meilleur des univers possibles. - Dieu le veuille! disait Cunégonde; mais j'ai été si horriblement malheureuse dans le mien que mon cœur est presque fermé à l'espérance.
 

   
Voltaire, Candide ou l’Optimisme, 1759, chapitre X (Gallica, document électronique, d’après l’édition de Sylvain Menant, Bordas, 1992)