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Le précepteur
Pangloss était l'oracle de la maison, et le petit
Candide écoutait ses leçons avec toute la bonne
foi de son âge et de son caractère.
Pangloss enseignait la métaphysico-théologo-cosmolonigologie.
Il prouvait admirablement qu'il n'y a point d'effet sans
cause, et que, dans ce meilleur des mondes possibles, le
château de monseigneur le baron était le plus
beau des châteaux, et madame la meilleure des baronnes
possibles.
« Il est démontré, disait-il, que les
choses ne peuvent être autrement: car tout étant
fait pour une fin, tout est nécessairement pour la
meilleure fin. Remarquez bien que les nez ont été
faits pour porter des lunettes; aussi avons-nous des lunettes.
Les jambes sont visiblement instituées pour être
chaussées, et nous avons des chausses. Les pierres
ont été formées pour être taillées
et pour en faire des châteaux; aussi monseigneur a
un très beau château: la plus grand baron de
la province doit être le mieux logé; et les
cochons étant faits pour être mangés,
nous mangeons du porc toute l'année. Par conséquent,
ceux qui ont avancé que tout est bien ont dit une
sottise: il fallait dire que toute est au mieux. »
Candide écoutait attentivement, et croyait innocemment:
car il trouvait mademoiselle Cunégonde extrêmement
belle, quoiqu'il ne prît jamais la hardiesse de le
lui dire. Il concluait qu'après le bonheur d'être
né baron de Thunder-ten-trunckh, le second degré
de bonheur était d'être mademoiselle Cunégonde;
le troisième, de la voir tous les jours; et le quatrième,
d'entendre maître Pangloss, le plus grand philosophe
de la province, et par conséquent de toute la terre.
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Voltaire, Candide ou
l’Optimisme, 1759, chapitre I (Gallica, document
électronique, d’après l’édition
de Sylvain Menant, Bordas, 1992)
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