L’attrait de l’aventure
 

Nous fûmes très occupés toute la nuit à mettre cha-que chose en place pour appareiller. Des canots pleins d'amis du chevalier, entre autres M. Blandly, vinrent lui souhaiter un bon voyage et un heureux retour. J'abattis beaucoup plus de travail que je n'en avais jamais eu à l'Amiral-Benbow. Et j'étais mort de fatigue quand, un peu avant l'aube, le maître d'équipage siffla les hommes qui furent bientôt rassemblés au cabestan. J'aurais été deux fois plus las que je n'aurais pas bougé du pont. Tout était pour moi trop nouveau, trop passionnant: les commandements brefs, la note stridente du sifflet, l'affairement des hommes à la lueur des falots.
« Maintenant, Barbecue,- chante-nous un couplet ! lança quelqu'un.
- Le vieux couplet, cria un autre.
- Allez-y, camarades ! » dit Long John qui était là, sa béquille sous le bras.
Et aussitôt retentit l'air que je connaissais si bien:
Nous étions quinze sur le coffre à l'homme mort.
Et tout l'équipage reprit en chœur :
Yo-ho-ho ! et une bouteille de rhum !
Et au troisième ho ! ils tirèrent tous ensemble sur les barres du cabestan.
Malgré l'excitation du moment, je fus immédiatement ramené à l'Amiral-Benbow et, dans le chœur, il me sembla entendre la voix du capitaine. Mais bientôt l'ancre fut levée, et suspendue, ruisselante, aux bossoirs, bientôt les voiles se gonflèrent et, la terre et le navire s'éloignèrent chacun de son côté. Avant que j'eusse eu le temps de m'étendre pour faire un somme, l'Hispaniola avait commencé le voyage, elle voguait vers l'Ile au Trésor.
 

   
Robert Louis Stevenson, L’Ile au trésor, 1883, chapitre X
(traduction d’André Bay, Librairie Générale Française, 1961,
« Le livre de poche », 1972, p.74-5)