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Le royaume de Telingana
Quand on part de Coromandel et qu'on est allé environ
mille milles vers le nord, on trouve le royaume de Telingana.
C'était jadis celui d'un roi, mais quand il mourut
il y a bien quarante ans, sa femme l'aimait tant qu'elle
ne voulut plus prendre de mari. Depuis elle gouverna le royaume
bien et même mieux que son mari de sorte qu'elle était
aimée de tous parce qu'elle aimait le droit et la
justice. Les gens sont idolâtres et ne paient pas de
tribut. Ils se nourrissent de lait et de riz. C'est dans
ce royaume qu'on trouve les diamants et je vais vous dire
comment ils ont de très grandes montagnes et l'hiver
il y a là de très grandes pluies, l'eau en
descend à torrents en faisant grand bruit. Quand la
pluie est passée et que l'eau s'est écoulée,
on cherche là où la pluie est passée
et on trouve des diamants en quantité. Quand vient
l'été, il fait une telle chaleur dans ces montagnes
à cause du soleil qu'il est très difficile
de s'y rendre - on n'y trouve pas d'eau -, mais les gens
qui s'y rendent trouvent des diamants en quantité.
À cause de la chaleur il y a là tant de grands
serpents et de vermine que c'est absolument prodigieux et
ce sont les serpents les plus venimeux du monde ; ceux qui
s'y rendent y courent de grands dangers, ils ont grand-peur
et il arrive qu'ils soient mangés par cette vermine.
Il y a encore dans ces montagnes des vallées très
grandes et profondes où personne ne peut descendre.
Les hommes qui y cherchent des diamants prennent la viande
la plus maigre possible et la jettent en bas. Il y a beaucoup
d'aigles blancs qui séjournent dans ces montagnes
et qui mangent les serpents qu'ils peuvent attraper. Quand
ils voient cette viande jetée en bas, ils l'attrapent
et l'emportent avec leurs pattes dans les hauteurs sur quelque
rocher pour la becqueter. Les hommes qui sont aux aguets
arrivent le plus vite possible, chassent l'aigle et trouvent
la viande toute pleine de diamants qui se sont fichés
dans la viande ! Sachez-le bien, il y en a tant dans ces
vallées profondes que c'est un prodige, mais on ne
peut descendre au fond. D'autre part, il y a tant de serpents
qu'on y serait vite dévoré. Les hommes trouvent
les diamants encore d'une autre manière ; ils vont
aux nids de ces aigles blancs et ils trouvent dans leurs
excréments des diamants en quantité qu'ils
engloutissent quand ils becquettent la viande que l'on jette
dans les vallées. Quand ils peuvent prendre des aigles,
ils les tuent et trouvent des diamants dans leurs ventres,
ils en ont ainsi des quantités et de très gros,
car ceux qui parviennent dans notre pays ne sont que le rebut,
tous les bons sont portés au Grand Khan et aux autres
rois des diverses parties du monde, qui possèdent
la fortune de l'univers. Sachez-le, on ne trouve de diamants
nulle part ailleurs.
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Marco Polo, La Description
du monde, 1298, chapitre CLXXI
(traduction de Pierre-Yves Badel, Libraire Générale
Française, 1998,
« Le livre de poche/Lettres gothiques », p.427-9)
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