La fidélité dans la mort
 

J'essayai donc de me distraire en me lançant dans diverses occupations. Mais il se passa très peu de temps avant que ma femme ne tombât malade. Elle rendait l'âme quelques jours après. La plupart des gens de la ville s'assemblèrent et vinrent me présenter leurs condoléances à moi et à sa famille. Le roi lui-même, comme il est d'usage dans leur pays, me manifesta sa sympathie. Une laveuse de morts fit l'ultime toilette de la défunte, la revêtit de ses plus beaux atours, la para de bijoux, de colliers et de joyaux. Une fois ainsi apprêtée pour ses funérailles, elle fut placée sur une civière et portée à la montagne. On souleva la dalle de pierre qui couvrait le puits et on y jeta la morte. Alors tous mes amis et les parents de mon épouse me firent leurs derniers adieux.
Je m'exclamai au milieu d'eux : «Je suis un étranger. Je ne peux me plier à votre coutume !» Mais ils ne m'écoutaient pas et n'avaient aucun souci de ce que je disais. Ils m'empoignèrent, m'attachèrent de force. M'ayant muni, selon leur habitude, de sept galettes et d'une cruche d'eau douce, ils me descendirent au fond du puits qui donnait sur une vaste caverne creusée sous la montagne. Ils me crièrent : « Détache-toi de la corde. » Comme je refusais de le faire, ils abandonnèrent la corde en la jetant sur moi, replacèrent la grande dalle qui couvrait le puits et s'en furent.
 

   
Sindbâd de la mer in Les Mille et une nuits, IV, circa IXe siècle, 554e nuit (traduction par Jamel Eddine Bencheikh et André Miquel, Gallimard, 2001, « Folio », p.412)