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L'homme qui faisait
ces choses était devenu effrayant.
Gilliatt, dans ce labeur multiple, dépensait toutes
ses forces à la fois ; il les renouvelait difficilement.
Privations d'un côté, lassitude de l'autre,
il avait maigri. Ses cheveux et sa barbe avaient poussé.
Il n'avait plus qu'une chemise qui ne fût pas en loques.
Il était pieds nus, le vent ayant emporté un
de ses souliers, et la mer l’autre. Les éclats
de l’enclume rudimentaire, et fort dangereuse, dont
il se servait, lui avaient fait aux mains et aux bras de
petites plaies, éclaboussures du travail. Ces plaies,
écorchures plutôt que blessures, étaient
superficielles, mais irritées par l’air vif
et par l’eau salée.
Il avait faim, il avait soif, il avait froid.
Son bidon d’eau douce était vide. Sa farine
de seigle était employée ou mangée.
Il n’avait plus qu'un peu de biscuit.
Il le cassait avec les dents, manquant d’eau pour le
détremper.
Peu à peu et jour à jour ses forces décroissaient.
Ce rocher redoutable lui soutirait la vie.
Boire était une question ; manger était une
question ; dormir était une question.
Il mangeait quand il parvenait à prendre un cloporte
de mer ou un crabe ; il buvait quand il voyait un oiseau
de mer s’abattre sur une pointe de rocher. Il y grimpait
et y trouvait un creux avec un peu d’eau douce. Il
buvait après l’oiseau, quelquefois avec l’oiseau
; car les mauves et les mouettes s’étaient accoutumées
à lui, et ne s’envolaient pas à son approche.
Gilliatt, même dans ses plus grandes faims, ne leur
faisait point de mal. Il avait, on s’en souvient, la
superstition des oiseaux. Les oiseaux, de leur côté,
ses cheveux étant hérissés et horribles
et sa barbe longue, n’en avaient plus peur ; ce changement
de figure les rassurait ; ils ne le trouvaient plus un homme
et le croyaient une bête.
Les oiseaux et Gilliatt étaient maintenant bons amis.
Ces pauvres s’entr'aidaient. Tant que Gilliatt avait
eu du seigle, il leur avait émietté de petits
morceaux des galettes qu'il faisait ; à cette heure,
à leur tour, ils lui indiquaient les endroits où
il y avait de l’eau.
Il mangeait les coquillages crus ; les coquillages sont,
dans une certaine mesure, désaltérants. Quant
aux crabes, il les faisait cuire ; n’ayant pas de marmite,
il les rôtissait entre deux pierres rougies au feu,
à la manière des gens sauvages des îles
Féroë.
Cependant un peu d’équinoxe s’était
déclaré ; la pluie était venue ; mais
une pluie hostile. Point d’ondées, point d’averses,
mais de longues aiguilles, fines, glacées, pénétrantes,
aiguës, qui perçaient les vêtements de
Gilliatt jusqu' à la peau et la peau jusqu'aux os.
Cette pluie donnait peu à boire et mouillait beaucoup.
Avare d’assistance, prodigue de misère, telle
était cette pluie, indigne du ciel. Gilliatt l’eut
sur lui pendant plus d’une semaine tout le jour et
toute la nuit. Cette pluie était une mauvaise action
d’en haut.
La nuit, dans son trou de rocher, il ne dormait que par l’accablement
du travail. Les grands cousins de mer venaient le piquer.
Il se réveillait couvert de pustules.
Il avait la fièvre, ce qui le soutenait ; la fièvre
est un secours, qui tue. D’instinct, il mâchait
du lichen ou suçait des feuilles de cochléaria
sauvage, maigres pousses des fentes sèches de l’écueil.
Du reste, il s’occupait peu de sa souffrance. Il n’avait
pas le temps de se distraire de sa besogne à cause
de lui, Gilliatt. La machine de la Durande se portait bien.
Cela lui suffisait.
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