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Il est des moments et
des circonstances dans cette affaire étrange et trouble
que nous appelons la vie où l'univers apparaît
à l'homme comme une farce monstrueuse dont il ne devinerait
que confusément l'esprit tout en ayant la forte présomption
que la plaisanterie se fait à ses dépens et
à ceux de nul autre. Pourtant, rien ne l'abat, comme
rien ne lui paraît valoir la peine de combattre. Il
avale tous les événements, tous les credo,
toutes les croyances, toutes les opinions, toutes les choses
visibles et invisibles les plus indigestes, si coriaces soient-elles
comme l'autruche à la puissante digestion engloutit
les balles et les pierres à fusil. Car les petites
difficultés et les soucis, les présages d'un
proche désastre ne lui semblent que des traits sarcastiques
décrochés par la bonne humeur, des bourrades
joviales dans les côtes expédiées par
un farceur invisible et énigmatique. Cette humeur
insolite et fantasque ne s'empare d'un homme qu'au paroxysme
de l'épreuve ; ce qui, l'instant d'avant, dans sa
ferveur lui apparaissait si grave, ne lui semble plus qu'une
scène de la farce universelle. Rien de tel que les
dangers de la chasse à la baleine pour développer
cette libre et insouciante cordialité, cette philosophie
désespérée ! C'est sous ce jour que
désormais, je vis la croisière du Péquod
et son but : la grande Baleine blanche.
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