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A bord de la Jane
Guy, nous fûmes traités avec toute la bienveillance
que réclamait notre déplorable état.
En une quinzaine de jours à peu près, pendant
lesquels on gouverna continuellement vers le sud-est, avec
beau temps et jolies brises, Peters et moi nous fûmes
complètement remis de nos dernières privations
et de nos terribles souffrances, et bientôt tout le
passé nous apparut plutôt comme un rêve
effrayant d'où le réveil nous avait heureusement
arrachés, que comme une suite d'événements
ayant pris place dans la positive et pure réalité.
J'ai eu depuis lors occasion de remarquer que cette espèce
d'oubli partiel est ordinairement amené par une transition
soudaine soit de la joie à la douleur, soit de la
douleur à la joie, - la puissance d'oubli étant
toujours proportionnée à l'énergie du
contraste. Ainsi, dans mon propre cas, il me semblait maintenant
impossible de réaliser le total des .misères
que j'avais endurées pendant les jours passés
sur notre ponton. On se rappelle bien les incidents, mais
non plus les sensations engendrées par les circonstances
successives. Tout ce que je sais, c'est que, au fur et à
mesure que ces événements se produisaient,
j'étais toujours convaincu que la nature humaine était
inca-pable d'endurer la douleur à un degré
au-delà.
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Edgar Allan Poe, Aventures
d’Arthur Gordon Pym, 1838, chapitre XIV
(traduction de Charles Baudelaire, Gallimard, « Folio
», 1975, p.191-2)
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