cabinet de lecture
choses lues, choses vues

Incorporer la lettre

Alberto Manguel

"Dans toute société alphabétisée, l'apprentissage de la lecture représente en quelque sorte une initiation, la sortie ritualisée d'un état de dépendance et de communication rudimentaire. L'enfant qui apprend à lire est admis dans la mémoire commune par la voie des livres, et découvre ainsi un passage partagé qu'il ou elle renouvelle, à un degré plus ou moins grand, à chaque lecture.
C'est ainsi que dans la société juive médiévale, le rituel de l'apprentissage de la lecture était célébré de façon explicite. Lors de la fête de Shavuot – qui célèbre le jour où Moïse reçut la Torah des mains de Dieu –, on drapait dans un châle de prière le garçon qui allait être initié avant que son père ne le conduise au maître. Celui-ci prenait le garçon sur ses genoux et lui montrait une ardoise où figuraient l'alphabet hébreu, un passage des Ecritures et les mots "Puisse la Torah être ton occupation". Le maître lisait chaque mot à haute voix, et l'enfant répétait. Ensuite, on enduisait l'ardoise de miel et l'enfant la léchait, assimilant ainsi physiquement les mots sacrés. On inscrivait aussi des versets bibliques sur des œufs durs épluchés et des gâteaux au miel que l'enfant mangeait après les avoir lus au maître à haute voix."

Alberto Manguel, Une Histoire de la lecture, Actes Sud, 1998