cabinet de lecture
choses lues, choses vues

Lire au temps des Réformes

Dominique Julia

Lire pour assurer son salut
« Même si l'on ne peut parler d'une véritable "politique" du livre scolaire au sens moderne du terme, celui-ci s'inscrit à l'intérieur du gigantesque mouvement d'acculturation qui saisit les Églises au temps des Réformes. Pour la foi réformée, chaque croyant doit pouvoir s'approprier, par une lecture personnelle, les textes de l'Écriture mis à sa disposition en langue vulgaire : la Bible lue à la veillée familiale et transmise de génération en génération fait partie intégrante du foyer domestique.
A ce défi, les prélats catholiques ont répondu par l'exigence d'un catéchisme régulièrement enseigné aussi bien par le curé que par le maître d'école, et par une vigilance accrue, au cours de leurs tournées pastorales, sur les écoles, déjà créées ou à naître, de leurs diocèses respectifs. Comme le dit dans ses statuts synodaux l'évêque janséniste d'Auxerre, Charles de Caylus, qui résume assez bien les visées de la Réforme catholique, l'apprentissage de la lecture présente un double avantage. "D'une part, il est évident que les enfants à qui on apprend à lire ont l'esprit bien plus ouvert pour entendre et pour retenir les principes de la foi qu'on leur enseigne. On n'éprouve que trop la peine qu'il y a le plus souvent de faire entrer dans la tête des enfants et même des personnes plus avancées qui ne savent lire les vérités les plus essentielles de la religion et la facilité avec laquelle ils oublient ce qu'on leur avait appris au catéchisme dès qu'ils cessent d'y venir. Ceux au contraire qui savent lire sont toujours en état de se rappeler par la lecture ce qui se serait effacé de la mémoire." D'autre part, rentrés dans leurs familles, les enfants qui savent lire se feront catéchistes à la veillée : "Le père et la mère et peut-être d'autres enfants plus avancés, ne sachant pas lire et n'étant plus en état de l'apprendre, un seul qui le saurait se rendra utile à tous par la prière et par les lectures qu'il fera tous les jours, toute la famille étant réunie, surtout dans la mauvaise saison, où l'on se trouve rassemblé dans la maison de longues soirées." La lecture est devenue une voie essentielle pour assurer désormais son salut. »

Dominique Julia, "Livres de classe et usages pédagogiques" dans Histoire de l'édition française, Fayard-Cercle de la Librairie, 1990, vol. II