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Censure et librairie

Daniel Roche

Censure et librairie : les institutions de surveillance
Comprendre le rôle que tenait dans la vie éditoriale et dans les mécanismes de la création la censure royale exige une mise en place des institutions de contrôle.
Pour atteindre le public, deux voies s'offrent aux auteurs et aux libraires imprimeurs, soit qu'ils choisissent celle où impression et diffusion sont réglementées, soit qu'ils s'installent dans celle de la clandestinité et de l'illégalité où les censures ne s'exercent qu'a posteriori, et où livres et brochures tombent dans les filets de la répression si les organes de la librairie ou de la police s'en saisissent. La censure préalable ne se manifeste en sûreté que sur le circuit légal. L'étape décisive a été franchie en ce domaine à la fin du XVIIe siècle, au terme d'une évolution qui a vu progressivement la censure royale s'imposer au-dessus de tous les autres organismes de contrôle, Université, Église, Parlement, dans la mise en place définitive du système des privilèges et des permissions.
L'Université, et surtout la Sorbonne, a perdu le monopole de la surveillance que lui avait délégué François Ier, par suite de la création des censeurs royaux (1623) et quand le code Micheau (1629) a transféré au chancelier et à ses commissaires le droit de regard sur l'imprimerie. L'Église, plus particulièrement les évêques et les assemblées du clergé dont le zèle s'accompagne d'une activité considérable en matière de librairie, ne conserve plus qu'un droit de réprobation quand les ouvrages sont déjà entre les mains des lecteurs. Seuls les livres de théologie et de piété sont soumis à une double autorisation, celle des autorités ecclésiastiques, celle des censeurs royaux. Dès la seconde moitié du XVIIe siècle la mécanique du contrôle est laïcisée.
Le Parlement dont l'action jouait dans le sens du renforcement de l'autorité régalienne et de la laïcisation se voit cantonné dans un rôle répressif, et il échoue au temps de la régence dan ses essais pour retrouver une politique de surveillance autonome. Les parlements et l'Église n'interviennent plus au XVIIIe siècle que pour des affaires exemplaires et spectaculaires : l'Histoire des Conciles du père Hardouin en 1715, la condamnation de De l'Esprit accompagné de toute une série d'ouvrages subversifs, celle des sept premiers volumes de l'Encyclopédie, qui sont occasion pour les parlementaires de réclamer leur droit d'approbation préalable. La Sorbonne et le clergé qui ne renoncent pas à recouvrer leur rôle de censure agissent surtout en faisant pression sur le pouvoir politique qui, à quelques condamnations près, n'écoute plus guère ces revendications. La librairie est définitivement devenue affaire d'administration publique."
Alberto Manguel, La Bibliothèque la nuit, Actes Sud, 2006