Logo BNF

Les Nadar, une légende photographique

II. L’art du portrait

Les Nadar

EN

Les origines du Panthéon-Nadar

Par Jean-Didier Wagneur
Le Panthéon-Nadar est l’entreprise caricaturale la plus gigantesque qui ait été tentée au XIXe siècle, nécessitant l’emploi d’une pierre lithographique d’un format rarement employé pour accueillir les caricatures des 250 personnages que Nadar présente en un cortège carnavalesque. Elle s’inscrit dans une culture essentiellement médiatique et dans une société gouvernée par l’individualisme exacerbé. Avant Nadar, des journaux comme La Silhouette, La Caricature, Le Charivari publiaient silhouettes et portraits-charges des notoriétés du temps. Cette production répondait à un fort tropisme social pour son propre spectacle. Paris, la vie quotidienne, les types sociaux, les mondes divers qui constituent la Grande Ville sont alors le sujet d’une littérature qui la réfracte en milliers d’images et de textes. Walter Benjamin a baptisé ce mouvement de « littérature panoramique » faisant référence aux panoramas des boulevards, établissements de spectacles ou le visiteur se trouvait immergé dans des tableaux à 360°. Tableaux de la capitale, physiologies des parisiens et des parisiennes - de la Grisette au Dandy – offraient aux parisiens une jouissance identitaire, un sentiment d’appartenance à cette société postrévolutionnaire en mutation. Baudelaire a condensé ce phénomène en un postulat : « Comme Paris aime surtout à entendre parler de Paris, la foule se complaît dans les miroirs où elle se voit. ».

Le Panthéon-Nadar est le reflet de ce que l’on nommait « les illustrations » de ce temps, il prend en partie son principe dans le Panthéon charivarique de Benjamin Roubaud, à la différence que le caricaturiste n’offrait qu’une suite de caricatures tandis que Nadar va les organiser en une véritable mise en scène dynamique. Celle-ci participe du goût néoclassique pour les cortèges dionysiaques en même temps que pour les triomphes romains, mais en y instillant un rire parodique qui amène la connivence du spectateur. On pourrait voir dans « La grande course à l’académie » les prolégomènes du défilé, que le siècle va systématiser dans le dispositif aussi bien textuel qu’iconique de la revue, qui décloisonne l’espace de l’image, la dote d’une dynamique et en hiérarchise les éléments.
Paul Gavarni, Benjamin Roubaud (1811-1847), vers 1860-1880
Caricature publiée dans Le Panthéon charivarique (1839-1841)
© BnF, département des Estampes et de la Photographie
Honoré de Balzac, Benjamin Roubaud (1811-1847), vers 1860-1880
Caricature publiée dans Le Panthéon charivarique (1839-1841)
© BnF, département des Estampes et de la Photographie
Jean-Jacques Grandville, Benjamin Roubaud (1811-1847), vers 1860-1880
Caricature publiée dans Le Panthéon charivarique (1839-1841)
© BnF, département des Estampes et de la Photographie
Nadar a assez rapidement saisi la passion sociale pour son propre spectacle. Léo Lespès lui commande cent portraits-charges de gens de lettres, chacun accompagné d’une biographie comique. Elles paraissent dans Le Journal du dimanche des 8, 15 et 22 août 1847. Mais Loïc Chotard voit très justement dans un dessin publié dans Le Journal pour rire : « Le déménagement de l’Assemblée constituante » une forme de préfiguration de l’entreprise de Nadar. On pourrait y ajouter « L’Exposition des produits politiques » publiée dans le même journal. Ces planches rassemblent des personnages autour d’une thématique, mais se déploient encore dans la linéarité comme la nouvelle série de portraits-charges accompagnés de biographies-express : La Lanterne magique qui paraît en 1852. Les lois répressives instituées alors par Louis-Napoléon Bonaparte interdisent à Nadar de traiter du politique et les sujets qu’ils y caricaturent appartiennent exclusivement au monde des lettres et des arts. Cette entreprise est marquée par un travail collectif qui annonce celui du Panthéon. Des collaborateurs le secondent pour recueillir les éléments biographiques comme pour les premiers croquis préludant à la caricature définitive.

Le prospectus annonçant la souscription au Panthéon-Nadar est publiée dans l’été 1852 dans un journal auquel collabore Nadar : L’Éclair. Il a trouvé les fonds auprès des frères Pereire et de Polydore Millaud qui lui achète immédiatement 400 portraits. Entouré d’une équipe qui compte son frère Adrien, Nadar fait poser les modèles dans son atelier du 18, rue Notre-Dame de Lorette avant de s’établir au 113, rue Saint-Lazare. La réalisation du projet sera confrontée à de multiples retards qui vont s’accumuler.