Félix Nadar : le Paris souterrain
De la tradition romantique à la technicité moderne
Au début des années 1860, Félix Nadar descendit dans les catacombes et les égouts pour les photographier à l’aide de l’éclairage électrique dont il avait déposé lui-même le brevet. Si l’on veut mieux comprendre ce projet, le roman de Victor Hugo, Les Misérables, publié en 1862, constitue le guide adéquat. Nadar connaissait le roman de Hugo qu’il admirait beaucoup. La série de 1861 consacrée aux catacombes lui servit de ballon d’essai pour tester l’efficacité de l’éclairage artificiel et ses possibilités sur le public. Celle des égouts de 1863-64 par contre de réaction à Hugo et à l’haussmannisation, à la transformation de Paris par le baron Haussmann, le préfet de la Seine qui, de juin 1853 à janvier 1870, soumit la capitale à une modernisation dramatique.
Il est intéressant de noter que Félix Nadar n’a pas cherché à photographier cette réorganisation de la capitale qui pendant des années a transformé la ville en un tas de ruines. Il descend par contre dans le sous-sol pour appréhender par la photographie le nouveau Paris et il le fait avec le roman de Victor Hugo en tête. En effet Jean Valjean, le personnage principal des Misérables, après avoir constaté sur les barricades du soulèvement de juin 1832 que la situation était sans issue, descend dans les égouts afin de sauver Marius, le bien-aimé de sa fille adoptive Cosette, et s’échappe. Le sous-sol de Paris est au niveau de l’action un royaume de l’obscurité et du crime. Le roman, en tant que tel, comme Hugo le souligne, est une sorte d’allégorie « où se joue une lutte entre les puissances allégoriques de la lumière et des ténèbres, du bien et du mal, du bonheur et du malheur. » Le sous-sol des égouts joue aussi, comme métaphore et comme motif, un rôle décisif. Hugo consacre à l’histoire, au présent et à l’avenir des égouts un chapitre en forme de digression, intitulé « L’intestin de Léviathan », sans que l’action du roman n’avance ne serait-ce qu’un peu. Il est remarquable que dans cette digression quelque peu verbeuse, le narrateur quitte la temporalité de l’action car ce qu’il décrit ne se situe nullement en 1832, mais à l’époque où l’auteur écrit. Hugo livre comme le programme de la visite que Nadar entreprend dans les égouts quelques années après celle des catacombes. Au niveau de l’action, il a recours à la tradition romantique, dans la digression, par contre, il décline toutes les utilisations économiques des égouts pour la fertilisation des sols ou autres. Les deux séries de Nadar correspondent à ces deux moments : celle des catacombes cherche encore des résidus allégoriques de la tradition romantique, celle des égouts explore systématiquement la modernité. Il ne trouve rien de moins qu’une réorganisation parfaite du Paris souterrain dans le sillage de l’haussmannisation.
Eugène Belgrand, à qui Haussmann a confié cette mission, a d’abord séparé de façon systématique les eaux de source et l’eau du fleuve. L’eau de la Seine servait pour le « service public », l’eau de source pour le « service privé » des foyers. Celle-ci était captée loin de Paris et acheminée par des aqueducs spécialement construits à cet effet. La conception de l’évacuation des eaux usées, elle aussi, fut revue. Le but était de regrouper l’ensemble des eaux usées de la ville et de les déverser ensuite de façon contrôlée dans la Seine à Asnières, à l’extérieur du centre-ville. Le parcours en méandres de la Seine permettait d’atteindre le fleuve sans avoir à construire de nouveaux égouts très longs. Il s’agissait donc d’organiser le système d’adduction et d’évacuation de sorte à ce qu’une circulation ininterrompue des eaux soit garantie et qu’en même temps chaque maison soit raccordée au réseau, ce qui à l’époque n’allait nullement de soi. La plupart des foyers captaient leur eau grâce à des puits et des sources publiques. La circulation et le raccordement faisaient aussi partie des buts de la restructuration de la ville en surface. La destruction du vieux Paris servait la reconstruction de l’espace urbain, dans le sous-sol par contre il fallait d’abord créer un réseau que Haussmann avait essayé d’établir en surface d’une autre façon. Tout ce qui était vieux, obscur, obstrué devait être éliminé dans le sous-sol comme à la surface. Haussmann s’est appuyé sur le parallélisme de deux univers, l’un visible, l’autre invisible, selon le principe de la circulation. Ces deux univers devaient être conçus chacun comme un corps.
Dans le sous-sol des égouts tel que Nadar les photographie s’ouvre un monde technique. Au centre se trouvent les lignes de fuite des galeries et les constructions techniques qui ont été réalisées spécialement pour les égouts. Des chaînes métalliques pendent du plafond, des galeries se divisent et ouvrent des perspectives sur des quais comme si les égouts étaient des voies de chemin de fer, ce qu’ils étaient également en partie. L’eau coule selon des trajets organisés entre des passages équipés de balustrades en métal. Des tuyaux disparaissent dans les murs, presque comme sur les clichés techniques des avant-gardes plus de soixante ans après. Ce que nous voyons, ce sont des emblèmes du progrès. La nouvelle réalité est technique et cela apparaît plus clairement dans le sous-sol qu’à la surface dans les transformations dues à Haussmann. Nous voyons ici un nouveau monde, un monde technique, et ceci précisément grâce aux nouvelles possibilités de l’éclairage électrique. Dans le sous-sol, nous apercevons le futur.
Il est intéressant de noter que Félix Nadar n’a pas cherché à photographier cette réorganisation de la capitale qui pendant des années a transformé la ville en un tas de ruines. Il descend par contre dans le sous-sol pour appréhender par la photographie le nouveau Paris et il le fait avec le roman de Victor Hugo en tête. En effet Jean Valjean, le personnage principal des Misérables, après avoir constaté sur les barricades du soulèvement de juin 1832 que la situation était sans issue, descend dans les égouts afin de sauver Marius, le bien-aimé de sa fille adoptive Cosette, et s’échappe. Le sous-sol de Paris est au niveau de l’action un royaume de l’obscurité et du crime. Le roman, en tant que tel, comme Hugo le souligne, est une sorte d’allégorie « où se joue une lutte entre les puissances allégoriques de la lumière et des ténèbres, du bien et du mal, du bonheur et du malheur. » Le sous-sol des égouts joue aussi, comme métaphore et comme motif, un rôle décisif. Hugo consacre à l’histoire, au présent et à l’avenir des égouts un chapitre en forme de digression, intitulé « L’intestin de Léviathan », sans que l’action du roman n’avance ne serait-ce qu’un peu. Il est remarquable que dans cette digression quelque peu verbeuse, le narrateur quitte la temporalité de l’action car ce qu’il décrit ne se situe nullement en 1832, mais à l’époque où l’auteur écrit. Hugo livre comme le programme de la visite que Nadar entreprend dans les égouts quelques années après celle des catacombes. Au niveau de l’action, il a recours à la tradition romantique, dans la digression, par contre, il décline toutes les utilisations économiques des égouts pour la fertilisation des sols ou autres. Les deux séries de Nadar correspondent à ces deux moments : celle des catacombes cherche encore des résidus allégoriques de la tradition romantique, celle des égouts explore systématiquement la modernité. Il ne trouve rien de moins qu’une réorganisation parfaite du Paris souterrain dans le sillage de l’haussmannisation.
Eugène Belgrand, à qui Haussmann a confié cette mission, a d’abord séparé de façon systématique les eaux de source et l’eau du fleuve. L’eau de la Seine servait pour le « service public », l’eau de source pour le « service privé » des foyers. Celle-ci était captée loin de Paris et acheminée par des aqueducs spécialement construits à cet effet. La conception de l’évacuation des eaux usées, elle aussi, fut revue. Le but était de regrouper l’ensemble des eaux usées de la ville et de les déverser ensuite de façon contrôlée dans la Seine à Asnières, à l’extérieur du centre-ville. Le parcours en méandres de la Seine permettait d’atteindre le fleuve sans avoir à construire de nouveaux égouts très longs. Il s’agissait donc d’organiser le système d’adduction et d’évacuation de sorte à ce qu’une circulation ininterrompue des eaux soit garantie et qu’en même temps chaque maison soit raccordée au réseau, ce qui à l’époque n’allait nullement de soi. La plupart des foyers captaient leur eau grâce à des puits et des sources publiques. La circulation et le raccordement faisaient aussi partie des buts de la restructuration de la ville en surface. La destruction du vieux Paris servait la reconstruction de l’espace urbain, dans le sous-sol par contre il fallait d’abord créer un réseau que Haussmann avait essayé d’établir en surface d’une autre façon. Tout ce qui était vieux, obscur, obstrué devait être éliminé dans le sous-sol comme à la surface. Haussmann s’est appuyé sur le parallélisme de deux univers, l’un visible, l’autre invisible, selon le principe de la circulation. Ces deux univers devaient être conçus chacun comme un corps.
Dans le sous-sol des égouts tel que Nadar les photographie s’ouvre un monde technique. Au centre se trouvent les lignes de fuite des galeries et les constructions techniques qui ont été réalisées spécialement pour les égouts. Des chaînes métalliques pendent du plafond, des galeries se divisent et ouvrent des perspectives sur des quais comme si les égouts étaient des voies de chemin de fer, ce qu’ils étaient également en partie. L’eau coule selon des trajets organisés entre des passages équipés de balustrades en métal. Des tuyaux disparaissent dans les murs, presque comme sur les clichés techniques des avant-gardes plus de soixante ans après. Ce que nous voyons, ce sont des emblèmes du progrès. La nouvelle réalité est technique et cela apparaît plus clairement dans le sous-sol qu’à la surface dans les transformations dues à Haussmann. Nous voyons ici un nouveau monde, un monde technique, et ceci précisément grâce aux nouvelles possibilités de l’éclairage électrique. Dans le sous-sol, nous apercevons le futur.