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Extrait

« Livres d'enfance et de jeunesse au Moyen Âge »

Danièle Alexandre-Bidon
D’après « Du livre d’images à l’image de l’enfant : Le livre d’enfance et de jeunesse au Moyen Âge » dans L’Enfance à travers le patrimoine écrit ; colloque d’Annecy, 2001

Une notion ancienne
La notion de « livres pour enfants » n’est pas anachronique au Moyen Âge. Il existe en effet dès l’époque carolingienne des livres destinés aux adolescents comme par exemple le Manuel de Dhuoda, dicté entre 841 et 843 par une mère issue de la haute aristocratie et destiné à son fils aîné. Dès les 11e-12e siècles, dans l’aristocratie puis dans le monde urbain où se trouvent alors les premières écoles accessibles aux enfants des laïcs, de plus jeunes élèves se voient proposer des livres conçus pour leur classe d’âge. Ainsi, au 11e siècle, Egbert de Liège compose-t-il un recueil d’historiettes amusantes ou édifiantes, imaginées « expressément pour la jeuness ».
On connaît dans certains cas, grâce à des livres de comptes ou de raison, l’âge exact du jeune destinataire. Au 15e siècle, le premier livre d’heures d’un enfant peut lui être offert très précocement. Ainsi, Claude de France et sa sœur, Renée, reçoivent-ils de leur mère leur premier livre de prière, dont l’un, orné d’un alphabet. Jeanne de France en reçoit, elle, un de sa mère, Isabeau de Bavière, à six ans : cinq ans est, à cette époque, l’âge moyen auquel un enfant apprend à lire. Ce ne sont pas les seuls exemples. Outre les ouvrages de dévotion, des livres scolaires sont composés ou recopiés pour eux. Dans la famille de Savoie, c’est entre sept et dix ans que des grammaires latines sont remises aux petits princes.

Des bibliothèques minuscules
Cependant, ces nobles exemples ne doivent pas faire illusion. Il est rare en effet qu’un enfant possède ne serait-ce qu’un seul livre. En général, l’enfant médiéval apprend à lire sur le livre d’heures de sa mère quand elle en possède un. Il faut attendre le 16e siècle pour voir les jeunes princes, tel François 1er commencer à se constituer une vraie bibliothèque. Au mieux, les enfants des plus grands aristocrates ne disposent-ils, à l’âge de raison, que d’une toute petite bibliothèque, en général entre quatre et six livres.
La notion de livres pour la jeunesse à cette époque comprend tous les genres d’écrits : alphabets moralisés dans les livres de dévotion et textes pieux dans les abécédaires, historiettes amusantes dans les livres de grammaire, allusions aux fables et fabliaux dans l’illustration des livres d’heures et de prières…
Avant le 15e siècle, on trouve surtout au registre des livres pour enfants des ouvrages personnalisés, souvent conçus pour un destinataire unique, éventuellement élargi aux frères et sœurs de ce dernier. À l’exception du livre de grammaire en milieu monastique ou aristocratique, il n’existe pas de production de masse, bien que quelques titres trouvent un public élargi au 15e siècle, au sein de la noblesse. Ce sont les « miroirs des princes » pour les garçons adolescents que les petits princes de Savoie reçoivent vers l’âge de quatorze ans, tout comme les fils du duc de Bourgogne, ainsi que les livres de Christine de Pizan pour les filles.
Les milieux aristocratiques sont, toutes époques confondues, les plus exclusivement concernés, ainsi qu’en témoignent les comptes royaux ou princiers de même que les exemplaires conservés dans les bibliothèques.
Toutefois, des catégories sociales moins aisées peuvent également être destinataires de livres. Ainsi, les fils et petits-fils de prêtres concubinaires sont dotés par testament des ouvrages leur permettant de dire la messe, s’ils suivent la carrière de leur ascendant. Le monde rural est guère concerné par la possession de livres mais l’apprentissage de la lecture n’y est pas aussi absent qu’on la cru pendant longtemps. En ville, les milieux modestes (marchands artisans, etc.) ne sont pas exclus de l’univers du livre, mais la possession d’un livre scolaire concerne les seuls garçons.
Au 15e siècle, les inventaires mentionnent parfois des « livres pour enfants » et l’éventaire des marchands signale des livres destinés à l’un ou l’autre sexe. Ils nous montrent ainsi qu’il existe des livres identifiables rapidement comme tels. Pour autant, les livres pour enfants ont un double public : mère et fille ; pédagogue de château-pupille ; prêtres-enfants de chœur ; maître d’école-élèves.

Quels titres ?
La majorité des livres médiévaux sont des ouvrages dédiés à la piété : bibles, psautiers, livres d’heures, missels. À cela s’ajoutent : hagiographies, légendes, vie de saints ou de pères. Les bibliothèques enfantines comportent également des titres liés au domaine scolaire, abécédaires ou recueils d’images mnémotechniques.
Les bibliothèques des milieux aristocratiques peuvent également contenir des ouvrages cynégétiques, militaires, ou des livres d’histoire.
Certains titres sont parfois proscrits. Ils concernent alors les récits supposés propres à « affabuler » comme les fables précisément, ou « périlleux à l’âme » selon Philippe de Mézières, comme ceux concernant les légendes sur l’enfance du Christ par exemple.

Quels critères d’usage ou de destination ?
L’alphabet, souvent moralisé, se place au premier rang des signes qui révèlent la destination enfantine d’un ouvrage. Vient ensuite la langue utilisée. L’emploi dans les livres de la langue française plutôt que le latin, sauf dans les grammaires élémentaires et les livres d’heures constitue un bon indicateur de l’âge de leur destinataire. La petite dimension des volumes, en taille et/ou en épaisseur plaide également en faveur d’un jeune lecteur. En témoignent de nombreuses enluminures ou des livres de compte, faisant état de « petites heures » ou de « petit livre d’heures ». Déjà, au 9e siècle, Dhuoda avait intitulé le livre composé pour son fils « Manuel », sous-entendant ainsi la dimension modeste de l’ouvrage, adapté à la main. La taille des caractères permet également de reconnaître les livres destinés aux enfants; par exemple l’abécédaire de la petite Marie de Bourgogne ne comporte qu’une lettre (et son quatrain d’accompagnement) par page. Accessoirement, les signes ajoutés en marge par le copiste sont autant d’indices qui désignent l’usage scolaire ou juvénile : la main de maître qui pointe du doigt la leçon de morale ou le proverbe édifiant. Les textes qui s’adressent particulièrement aux enfants adoptent le tutoiement, la forme dialoguée, l’insertion de proverbes en abondance, la composition versifiée… L’iconographie, enfin, particulièrement axée sur les images et les activités enfantines permet l’identification de l’âge ou de la tranche d’âge du jeune lecteur. Mais l’indice le plus sûr est encore la présence d’un portrait d’enfant dans son livre. Ces portraits interviennent souvent dans les livres d’heures et dans les ouvrages didactiques. La petite Claude de France fait ainsi face à son saint patron dans son livre d’alphabet et de catéchisme, en première et en dernière page du volume. Le futur François 1er est mesuré par sa mère Louise de Savoie dans un ouvrage didactique intitulé « compas de dauphin ».
Les livres médiévaux de l’enfance sont bien un « miroir » de leur existence et de leur éducation. Même si la collecte est, pour les 13e-15e siècles nécessairement limitée au monde de la noblesse, on découvre déjà, dans les livres conçus et copiés pour des enfants, l’origine de bien des traits encore d’actualité du livre pour enfants : la familiarité du ton, la simplicité de la langue, l’image de soi, de son semblable et de ses jeux, la graphie et la dimension du volume adaptées au niveau de culture et à la taille des jeunes destinataires.

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