Découvrir, comprendre, créer, partager

Extrait

Segolène Le Men, « Livres de prix, prix d'étrennes »

Ségolène Le Men
D’après Livres d'enfants, livres d'images, Paris, Catalogue du Musée d'Orsay, 1989

Objets symboliques et livres d'apparat
Alors que le manuel, revêtu d'un cartonnage modeste mais solide est le compagnon quotidien de l'écolier, d'autres livres ont un aspect plus spectaculaire, car ils sont destinés aux cérémonies solennelles des étrennes et des prix : face à la fête familiale des étrennes, la distribution de prix, grand jour de récompense des bons élèves, est le point culminant de l'année scolaire à tous les degrés de l'enseignement, de l'école maternelle au concours général des bacheliers. Une subtile hiérarchie des formats et du nombre des volumes, que décrivent les catalogues des éditeurs, correspond au niveau d'études et au palmarès. Un prix d'honneur du concours général vaut « quarante magnifiques volumes reliés aux armes de la Sorbonne avec la mention « concours général » sur le premier plat. Les premiers prix reçoivent six volumes et les seconds prix quatre, tandis que les accessits n'en reçoivent aucun…
Objets symboliques et livres d'apparat, les livres d'étrennes et de prix ont en commun leurs beaux cartonnages de livres-objets. Bien qu'ils fassent, aux alentours des solstices, l'objet de catalogues distincts, les livres de prix sont aussi livres d'étrennes et réciproquement, tout au long de la période. Ils se distinguent seulement par l'ex-praemio apposé sur les gardes du livre de prix ou par l'ex-dono plus rarement inscrit sur le livre d'étrennes, ainsi que par la couronne de lauriers entourant le nom de l'institution qui orne éventuellement le cartonnage de prix.

Du Second Empire aux lois Ferry
Sous le Second Empire comme sous la Monarchie de Juillet, les livres de prix sont liés à l'évènement de la reliure industrielle et, pour l'illustration, de la gravure sur acier qui autorise de gros tirages, tout comme ces cadeaux d'étrennes destinés aux femmes du monde, plus rarement aux enfants, que sont les keepsakes dont la mode, venue d'Angleterre, fut plus éphémère et prend fin vers 1850. Bien que la plupart des planches soient anonymes, des graveurs réputés sont sollicités ; quelques éditeurs provinciaux se partagent le marché avec, en tête, Alfred Mame. Implantés comme lui dans les principaux centres régionaux du colportage, tous ces éditeurs avec leurs bibliothèques de « bons livres » précèdent de peu la loi Falloux du 1er janvier 1850 qui encourage l'enseignement catholique, comme les directives de l'Empire autoritaire, qui entend remplacer les livres de colportage jugés pernicieux par des lectures plus morales.
Les lois Ferry ébranlent cet édifice solide par la laïcisation de l'école publique et la séparation de l'Église et de l'État en 1905 achève de le remettre en cause. La commission des bibliothèques scolaires et populaires dresse pendant quelques mois la liste des ouvrages recommandés pour les bibliothèques scolaires et pour les distributions de prix, qui font l'objet d'un catalogue spécial. L'Académie française couronne de son prix Monthyon les meilleurs livres d'éducation. Toutefois, même si les listes officielles des distributions de prix ont presque éliminé les éditeurs de « bons livres », Mame garde ses fidèles tandis que ses confrères disparaissent à la fin du siècle.
D'autres profiteront néanmoins de la situation nouvelle, au premier rang desquels il faut compter Hetzel, venu au livre de prix par le livre d'étrennes et qui met à la mode les livres « rouge et or » dorés sur tranche et faisant appel au roi des illustrateurs de l'époque, Gustave Doré.

  • Lien permanent
    ark:/12148/mmfvtpmh0rpk