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Extrait

Catherine Velay-Vallantin, « Naissance d'un public de livres d'enfants »

Danièle Catherine Velay-Valentin
D’après Le livre d’enfance et de jeunesse en France, Société des bibliophiles de Guyenne, 1994

Dans L’enfant et la vie familiale sous l’Ancien Régime, Philippe Ariès montre que la fin du 17e siècle a vu un changement considérable dans la place prise par la famille et l’enfant.
Une fois améliorée la formation du clergé, avec des congrégations et des séminaires tournés vers la formation pastorale, la Réforme catholique s’est préoccupée de l’instruction des enfants. Bientôt, des catéchismes, approuvés par les évêques, leur sont spécialement destinés et l’école paraît le moyen le plus approprié pour lutter contre l’hérésie et moraliser la jeunesse. Au cours du 12e siècle, l’œuvre scolaire de la Réforme catholique se concrétise, en faisant surgir un réseau d’écoles urbaines de charité.
L’œuvre de Jean-Baptiste de La Salle est d’une tout autre ampleur. C’est à partir de 1678 qu’il se consacre en effet à la scolarisation gratuite. Son Institut des Frères des écoles chrétiennes introduit une pédagogie inspirée des collèges d’humanités, en plein essor depuis le 16e siècle. La taille des établissements, dotés d’au moins trois maîtres, permet de créer des classes de niveau au sein desquelles l’utilisation de livres identiques se prête à un enseignement simultané des élèves. Le groupe des enfants est devenu une classe. Une surveillance de tous les instants et un système subtil de punitions et de récompenses, emprunté au collège, fondent cette pédagogie dans les écoles élémentaires.
En revanche, dans les villages de la France rurale, l’école, lorsqu’elle existe, présente un bien pauvre visage. L’initiative d’engager un maître revient à la communauté des habitants, à moins qu’elle n’émane d’un riche fondateur. Face à un groupe d’enfants d’âges variés, souvent filles et garçons mêlés, ce « régent », recruté par contrat sous le contrôle de l’Eglise, pratique une pédagogie rudimentaire du mode individuel : chaque élève, à tour de rôle, vient épeler sur un psautier ou réciter un morceau d’oraison pendant que ses camarades travaillent à l’unique table d’écriture.
C’est la résistance des protestants qui justifie en 1698 une mesure sans précédent : la Déclaration royale pose en effet le principe d’une obligation scolaire sous l’égide de l’Etat et le contrôle de l’Eglise catholique. Il s’agit de concurrencer l’alphabétisation et la transmission de la foi poursuivies au sein des familles huguenotes. Ce texte prévoit un réseau de surveillance ecclésiastique des maîtres comme des parents qui n’enverraient pas leurs enfants à l’école et définit le contenu de l’enseignement : les vérités de la foi, le rituel catholique, la messe quotidienne, enfin « apprendre à lire et même à écrire à ceux qui pourraient en avoir besoin ». Bien que renouvelée en 1724, cette Déclaration n’est suivie d’aucun effet dans les régions fidèles au protestantisme. Elle reste cependant la base législative indispensable à toute initiative pédagogique.
Mais une fois apaisée la lutte contre l’hérésie, ni le Roi, ni son administration ne voient l’utilité d’instruire les milieux ruraux. Et les propagandes des Lumières, pas davantage. Seule la formation des élites compte à leurs yeux. C’est ainsi que La Chalotais, dans son Essai d’éducation nationale soutient que « le bien de la société demande que les connaissances du peuple ne s’étendent pas plus loin que ses occupations ». Voltaire l’en félicite par courrier : « Je vous remercie de proscrire l’étude chez les laboureurs. » Et Rousseau émet un jugement similaire : « N’instruisez pas l’enfant du villageois car il ne lui convient pas d’être instruit. »
Diderot ne partage pas ce point de vue, tout comme nombre d’ecclésiastiques – notamment de bas clergé – qui défendent l’utilité de l’instruction populaire. L’Église n’est pas pour autant le plus ardent défenseur de cette éducation : elle est souvent divisée sur ce point, en particulier à mesure que croît son obsession de la diffusion des « mauvais » livres.

C’est dans ce contexte que s’élabore une autre approche de l’enfant : la diffusion de contes dès la fin du 17e siècle. La fiction ne se veut plus assujettie aux règles de la pédagogie en cours. Car, ne nous y trompons pas : Perrault et ses émules ont bel et bien tenté une nouvelle approche de l’enfant, selon leurs propres préoccupations, celles des milieux mondains porteurs des valeurs chevaleresques oubliées à la Cour de Louis XIV.

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