arrêt sur...

Vers des horizons inconnus

Par Mireille Pastoureau

Rivalités entre le Portugal et l'Espagne

Dix années plus tard, les îles du Cap-Vert étaient atteintes et le cours du Sénégal reconnu. La disparition de l'Infant dans l'hiver 1460 ralentit alors pendant dix ans le rythme de ces grandes entreprises. À partir de 1462-1463, le nouveau roi s'employa à rattacher directement à la Couronne l'héritage d'Henri le Navigateur et prit à son tour en charge toutes les entreprises de découverte. Lagos se trouva dépossédée au profit de Lisbonne et les avantages consentis aux marins aventuriers diminuèrent.
Dès 1460, avait cependant été touchée la côte dite de la Malaguette, appelée du nom du « faux poivre », dont le commerce s'avéra fort lucratif. En 1470, furent atteintes et dépassées la côte de l'Ivoire et la côte de l'Or, offertes en concession par la Couronne à des marchands portugais ou étrangers. Mais la côte africaine paraissait interminable. Elle s'infléchissait à nouveau vers le sud et l'espoir d'atteindre les Indes reculait à mesure. Jusqu'au traité d'Alcobaça (1479-1480), le Portugal dut en outre supporter l'hostilité de la Castille et assister à une véritable offensive des Andalous vers la côte de Guinée. À point nommé ce traité accorda aux Portugais le monopole du commerce avec l'Afrique. La construction en vingt jours du fort de Sâo Jorge da Mina (Saint-Georges-de-la-Mine), en 1482, dont tous les éléments (pierre, brique, bois, fer) furent apportés de Lisbonne fut la confirmation et la garantie de ce monopole. Ce comptoir commercial fortifié devait être l'une des principales sources de revenu pour la Couronne sous le règne de Jean II, commencé en 1481. Le pape avait de son côté confirmé par une bulle les droits des Portugais. L'avancée des découvertes pouvait continuer. Elle se faisait désormais sous l'égide de l'État, avec une préparation minutieuse, des investissements et des équipages importants. Le but était proche et les enjeux considérables.
En un voyage célèbre, en 1483, Diogo Cao découvrit l'estuaire du Congo où il inaugura l'usage d'élever, sur les lieux de découvertes importantes, une colonne de pierre aux armes du Portugal, surmontée d'une croix, spécialement apportée de la métropole et appelée padrão. En 1484 et 1485, il devait reconnaître la côte jusqu'à 22° de latitude sud, continuant de baliser ses découvertes de colonnes gravées, symboles de la propriété du royaume sur les terres et les âmes.  
 

L'expédition de Bartolomeu Dias

En 1487, en même temps qu'ils envoyaient deux expéditions vers les Indes, l'une terrestre à travers le Proche-Orient, l'autre maritime vers l'ouest à partir des Açores – direction qui sera celle de Colomb – Jean II et ses conseillers organisaient aussi le départ de Bartolomeu Dias, chargé de contourner l'Afrique. La perte du journal du navigateur et de la carte qu'il avait tracée à son retour nous font cruellement défaut pour revivre cet événement. L'expédition, méthodiquement préparée, comprenait deux caravelles ainsi que, pour la première fois dans une telle aventure, un vaisseau de conserve, porteur de ravitaillement et donc garant d'une plus grande autonomie. Dias emmenait avec lui six Africains bien nourris et vêtus à l'européenne, destinés à être déposés en divers points de la côte avec des échantillons d'or, d'argent, d'épices, d'ivoire et d'autres produits africains, afin de faire comprendre aux indigènes, à la manière du « commerce muet », quelles étaient les marchandises recherchées par les Portugais.
Mais à peine eurent-ils débarqué le dernier Africain que les vaisseaux de Dias furent pris dans la tempête. Déroutés, ils perdirent la côte de vue pendant treize jours, restant heureusement toujours cap à l'est. L'ouragan passé, la température fraîchit terriblement tandis que la houle grossissante annonçait un océan nouveau. La tempête providentielle leur avait en réalité permis de franchir le sud de l'Afrique sans s'en apercevoir. Dias vira de bord vers le nord, et jeta l'ancre, le 3 février 1488, à quelque 370 kilomètres de l'actuelle ville du Cap où il dressa un padrão. Il remonta ensuite dans la direction du nord-est, longeant la côte sur 500 kilomètres mais c'est alors que ses hommes prirent peur. Ils allaient manifestement atteindre les eaux où croisaient les navires arabes et toutes les angoisses liées à ces navigateurs inconnus resurgissaient. Dias se résigna à rebrousser chemin. Sur la route du retour, il retrouva sa conserve laissée neuf mois plus tôt avec neuf hommes à bord. Trois seulement étaient encore en vie et l'un d'eux mourut brusquement de joie lorsqu'il les vit. Après avoir franchi difficilement en sens inverse le cap qu'il nomma « des Tempêtes », il rentra au Portugal en décembre 1488. Dans le port de Lisbonne, un jeune inconnu se montra fort désappointé. Il avait nom Christophe Colomb et le succès de l'expédition ôtait beaucoup d'intérêt à son projet d'atteindre les Indes par une autre voie.

 


voir l'album
Jean Il changea le nom du cap fatidique en cap de Bonne-Espérance, car il avait désormais l'heureuse certitude de la liaison maritime entre l'Atlantique et l'océan Indien. La route des Indes était donc ouverte, au bout de douze mille kilomètres de côtes reconnues en deux générations. Dias fut néanmoins confiné dans un commandement en métropole. Comme l'écrit Jean Amsler, « c'était une doctrine officielle : ne pas accumuler sur la même tête une trop lourde dette de reconnaissance. La méthode avait fait ses preuves ». Débarqué à l'escale des îles du Cap-Vert, il ne suivra pas jusqu'au bout le voyage historique de Vasco de Gama dont il avait pourtant supervisé la construction des navires. Il trouvera la mort en 1500, capitaine d'un navire de Cabral, dans l'expédition du Brésil.
Une pause de dix années fit suite au succès de Dias, pendant laquelle le spectateur désenchanté du port de Lisbonne devait prendre sa revanche.
haut de page