arrêt sur...

Vers des horizons inconnus

Par Mireille Pastoureau

La redécouverte de Ptolémée

La première des grandes découvertes fut sans aucun doute l'exhumation de l'œuvre du géographe grec Claude Ptolémée (90-168). Ce savant de l'école d'Alexandrie avait en effet laissé derrière lui une sorte de bombe à retardement intellectuelle qui révolutionna l'image du monde à la Renaissance.
Il était l'auteur de deux ouvrages d'une importance monumentale : d'une part, une Somme mathématique, encore appelée Almageste, du nom de son titre arabe, et traduite en Occident à partir du XIIe siècle, d'autre part, d'une Géographie, traduite en arabe dès le IXe siècle, mais ignorée en Occident jusqu'à l'aube du XVe siècle. C'est elle qui nous intéresse aujourd'hui. Rares étaient en effet, au Moyen Âge, les lettrés capables de lire le grec. En 1400, cependant, un manuscrit de la Géographie fut apporté à Florence depuis Constantinople par un Byzantin, Emmanuel Chrysoloras, venu s'installer en Italie comme professeur de grec. L'un de ses premiers élèves, Jacopo d'Angelo, entreprit de la traduire en latin et en fit hommage au pape Alexandre V en 1409. Cette traduction fut reçue comme une révélation. Elle se répandit dans toute l'Europe et on en connaît aujourd'hui une quarantaine de manuscrits différents. Certains d'entre eux contiennent des cartes, au nombre de vingt-sept, qui sont à l'origine de la renaissance de la cartographie européenne.  
 

La Géographie

La Géographie de Ptolémée se compose en réalité de deux parties : un ensemble de principes généraux concernant la géographie et la confection des cartes, et un catalogue de positions de lieux parfois illustré de planches de cartes. Il semble que seule la première partie nous soit parvenue dans sa forme originelle. La nomenclature des villes ainsi que les dessins de cartes auraient été complétés a posteriori par des savants byzantins à l'aide de sources arabes. Les cartes qui ont été conservées ne sont au reste que des copies des XIIIe et XIVe siècles.
Les contemporains ne s'embarrassèrent pas de critique érudite. Ils adoptèrent Ptolémée comme une bible géographique. Pour la première fois, il est vrai, on leur présentait une carte réaliste du monde. Pour la première fois aussi, on leur proposait des méthodes permettant de combler les blancs de cette image forcément lacunaire. Sans devoir longer des côtes interminables, tels les patients auteurs de cartes marines, les humanistes de la Renaissance disposaient désormais dans leur bibliothèque d'un corpus des grandes parties du monde qui ne demandait qu'à recevoir des compléments.

La renaissance de la cartographie européenne

En raison de son succès, la Géographie de Ptolémée, illustrée de cartes, compta parmi les premiers ouvrages imprimés. L'imprimerie était apparue en Allemagne vers 1450, puis s'était rapidement répandue en Europe grâce à des imprimeurs itinérants aussi mobiles que leurs caractères. On trouve une édition de la Géographie à Bologne dès 1477, une autre à Rome en 1478. La mappemonde de l'édition d'Ulm (1482), bien reconnaissable à son lavis bleu et jaune. Elle précède les cartes régionales dont elle constitue en quelque sorte le tableau d'assemblage. Cette image du monde, que Christophe Colomb étudia attentivement, s'étend des îles Fortunées (les Canaries) à l'ouest jusqu'à la Sinarum regio (la Chine) à l'est. Elle est excessivement étirée en largeur, étirement qui encouragera Colomb lors de l'élaboration de son projet. Mais elle est déjà démodée en ce qui concerne l'Afrique que les Portugais pensaient pouvoir contourner. Pour Ptolémée, au contraire, le continent africain était solidaire de la terre australe qui emprisonnait totalement l'océan Indien devenu une sorte de mer fermée, une Méditerranée aux proportions agrandies.
Le grand apport de Ptolémée aux géographes occidentaux ne provient pas tant de ses tracés géographiques somme toute assez simples et grossiers, que de sa conception de la Terre comme une sphère. Le grand géographe grec propose en effet un système de projection conique amélioré, en forme de manteau, ainsi qu'une grille de méridiens et de parallèles qui est toujours universellement utilisée. Il nous légua également l'orientation des cartes vers le nord géographique, le tracé d'un équateur, le « cercle équinoxial », et de deux tropiques qui sont mis en évidence sur sa mappemonde par de larges bandes écarlates. Les degrés de latitude sont même numérotés dans la marge de droite tandis qu'à gauche nous voyons notée la durée des jours les plus longs de l'année, lors du solstice d'été.
 
Les copies successives de la Géographie de Ptolémée, de même que ses diverses éditions imprimées, fournirent l'occasion de corriger pas à pas la carte du monde. Au corpus initial, conservé dans le pieux respect de l'autorité des Anciens, furent peu à peu ajoutées des cartes modernes des terres nouvellement découvertes. La gravure et l'imprimerie vinrent relayer les dessinateurs et les enlumineurs, donnant à cette cartographie en marche une audience élargie. Les éditions complétées de la Géographie de Ptolémée permirent ainsi aux humanistes, aux universitaires et à toute l'Europe intellectuelle de s'informer des progrès des grandes découvertes.
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