arrêt sur...

La restauration des cartes portulans

Par l'atelier de restauration des Cartes et plans de la BnF

Le traitement et le montage des cartes portulans

Le portulan est une carte marine, manuscrite ou imprimée sur un support en peau de mouton ou de veau. « Elle combine trois éléments principaux : le dessin, l’écriture et la mesure. C’est-à-dire une image, générale ou partielle du monde, des légendes et instructions et enfin des quantités mesurables »1. La carte est construite à partir d’un réseau de lignes de vents appelés rhumbs qui rayonnent à partir de roses des vents. Ce canevas de lignes sert de base à la cartographie.
La peau, qui est souvent orientée avec la tête de l’animal vers la gauche, est un support très hygroscopique. Il est sensible aux variations d’humidité et de température.
Un portulan ne sera donc jamais complètement plat. Encore plus que le papier, la peau travaille et bouge de manière à trouver un état stable en adéquation avec les conditions climatiques du milieu où elle se trouve. De ce fait, un parchemin ne doit jamais être contraint et ses conditions d’humidité et de température doivent être contrôlées. La peau ne doit pas subir de variations rapides sous peine de voir apparaitre des déformations importantes, comme des ondulations, ou un allongement qui pourraient entrainer une altération de la couche picturale.
Le but de l’intervention de restauration des portulans pour l’exposition l’Âge d’or des cartes marines à l’atelier de restauration est donc de stabiliser et de redonner leur lisibilité à toutes les cartes dégradées par le temps. L’objectif est avant tout de détendre les plis qui cachent certaines informations importantes, de faire correspondre les lignes de rhumbs pour qu’elles soient droites et de renforcer le support qui peut être déchiré ou fragilisé par endroits comme dans le cas de la carte Pisane. Et tout cela en veillant à conserver les échelles d’origine. Une année et quatre personnes ont été nécessaires pour traiter 80 portulans qui ont alors pu être présentés au public dans les meilleures conditions possibles. Nous tenterons ici d’expliquer les méthodes et les traitements mis en place pour préparer les parchemins ainsi que les différentes techniques de montage qui ont été utilisées pour cette exposition.

Mise à plat du parchemin de Domingos Sanches, 1618

Les plis profonds visibles sur ce portulan ont été causés par un traitement en immersion dans un bain de méthanol, suivi d’une mise en presse non contrôlée du document. Cette méthode était très courante sur les parchemins dans les années 70. Le méthanol stabilisait les couleurs et le document pouvait être mis en presse mécaniquement. Le séchage était alors non homogène et la peau contrainte par un poids trop important. Elle ne pouvait pas s’allonger et cela provoque la création de ces plis marqués. Ces plis engendrent une perte d’informations importante. Comme on peut le voir ci-dessus, le nom de certains ports n’est plus du tout visible. L’objectif de la restauration est donc de rendre sa lisibilité au document en lui rendant sa planéité d’origine et son échelle.
La technique de l’immersion dans le méthanol a été abandonnée aujourd’hui. Dorénavant, le traitement classique pour la mise à plat des parchemins est plutôt un apport très lent d’humidité par une chambre d’humidification ou un goretex : la peau est placée dans une enceinte fermée dans laquelle on fait monter progressivement l’humidité. Puis le parchemin est tendu à l’aide de pinces. Cela peut provoquer un allongement important, un écaillage des couleurs et est impossible à réaliser s’il y a une déchirure. Le problème de ces techniques est qu’il est difficile de gérer l’apport d’eau en fonction des zones à traiter. L’humidité est apportée autant sur le verso que sur le recto, qui sert de support à la couche picturale. L’enluminure, qui est très sensible à l’eau, va gonfler et se désolidariser de son support. Le dessin et donc l’information transmise par la carte peut être perdu.
La technique développée à l’atelier des Cartes et plans est donc tout autre. Pour retrouver la planéité du document, il est nécessaire d’apporter une certaine humidité, mais il faut qu’elle soit contrôlée. La peau doit s’assouplir sans que les couleurs soient en contact avec l’eau. Il faut également faire attention au support lui-même puisque le parchemin est très hygroscopique et qu’il y a un risque de gélatinisation si l’humidité atteint 100 %. La technique consiste donc à apporter une humidité mesurée en appliquant au verso un cataplasme de colle au travers d’un intissé. La quantité de colle est adaptée en fonction de la zone à traiter. Là où les plis sont importants, la colle sera appliquée de matière plus épaisse pour ainsi apporter plus d’humidité. De cette manière, le parchemin se détend très vite et il est alors possible de le travailler et de retirer les plis avant même que l’humidité ait atteint la face où se trouvent les couleurs. Une fois assoupli, le document est appliqué sur une toile doublée d’un intermédiaire de papier japon, tendue sur un châssis amovible. Le parchemin pourra sécher de manière uniforme par le recto et le verso. Toutes les échelles seront conservées. L’accès à la face permettra également de vérifier la rectitude des lignes de vents ou rhumbs et de refermer les déchirures.
 
 
Avec cet entoilage provisoire comme support, le parchemin restera tendu au minimum 6 mois pour retrouver un état stable et qu’il perde la mémoire de ses plis. En plus de son rôle de support pour la tension, la toile sera également utilisée pour le montage du portulan dans l’exposition (voir plus bas). Après l’exposition, le doublage provisoire sera retiré pour retrouver le document dans son état d’origine. Une simple action mécanique sans apport d’eau permettra de retirer ce support, prévu pour être totalement réversible.
La toile est arrachée mécaniquement. Le papier japonais se sépare en deux et une fine couche de fibres reste à la surface du verso du parchemin. Ces fibres sont ensuite éliminées à sec à l’aide d’un scalpel. Quelques fibres sont laissées aux endroits fragilisés pour renforcer les déchirures par exemple. Une fois cette opération terminée, le parchemin retrouve son état d’origine et peut alors réintégrer les collections de la BnF.
Notes
1. Frank Lestringant, catalogue de l’exposition : lire le texte
haut de page