Le Vieux de la Montagne dans son faux paradis
Marco Polo (1254-1324), Le Devisement du monde ou Livre des Merveilles
Récit de 1299, copié à Paris vers 1410-1412.
Enluminure par le Maître de la Mazarine et collaborateurs. Manuscrit sur parchemin, 299 feuillets, 42 x 29,8 cm
BnF, département des Manuscrits, Français 2810, fol. 16v
© Bibliothèque nationale de France
La forteresse d’Alamut dans l’Elbrouz, à une centaine de kilomètres au nord-ouest de Téhéran, fut de 1094 à 1256 le siège des Nizârites, un schisme au sein du chiisme ismaélien, partisans de l'Imam Nizar, au lieu d’Al Mustali son frère. Après la guerre de succession entre les deux frères qui voit triompher Al Mustali comme sultan au Caire, le Persan Hassan ibn al-Sabbah, un des partisans de Nizar s’installe à Alamut et prend la direction du groupe. Opposés aux Fatimides chiites du Caire, mais aussi au califat sunnite des Abbassides à Bagdad, les Nizârites d’Alamut édifient un royaume dont la forteresse, réputée imprenable, est le centre. Ils étendent aussi leur prédication vers la Syrie et rencontrent alors les Croisés. La conquête de la Perse par Hulegut, les fait disparaître en tant qu'état indépendant, et leurs descendants sont devenus au XIXe siècle les fidèles de l’Aga Khan. Marco Polo n’a pas pu voir la forteresse d’Alumut, détruite par Hulegut en 1256, mais il en a entendu parler.

Il parle du Vieux de la Montagne et de ses affaires
Mulecte est une région où vivait autrefois le Vieux de la Montagne. Ce nom de Mulecte signifie en français "Dieu de la Terre". Je vais vous raconter son histoire comme Marc Pol l'apprit lui-même des habitants de cette région.
Le Vieux de la Montagne s'appelait en leur langue Aloadin. Il avait un jardin clos entre deux montagnes, le plus grand et le plus beau qu'on ait jamais vu au monde, avec les fruits les plus délicieux, des maisons et des palais les plus splendides, tout pleins d'or et de peintures. Il courait dans ce jardin des rivières de vin, de lait, de miel et d'eau. Les plus belles dames et demoiselles du monde y jouaient de tous instruments et y chantaient à merveille. C'était un plaisir de les voir danser. Le Vieux de la Montagne faisait croire à ses hommes que ce jardin était le Paradis. D'ailleurs, c'est ainsi qu'il l'avait fait, en suivant l'exacte description que Mahomet donne du paradis : un beau jardin plein de rivières de vin, de lait, de miel et d'eau, plein de belles femmes pour le plaisir. Tel était le jardin du Vieux de la Montagne. Et tous croyaient dur comme fer que c'était le Paradis. Le Vieux n'y laissait entrer personne, hormis ceux dont il voulait faire ses Assassins. D'ailleurs, un château en défendait l'entrée, si solide que personne ne pouvait le prendre. Et c'était la seule entrée.
Le Vieux de la Montagne appelait à sa cour des jeunes gens de la région, de douze ans environ, qui rêvaient de devenir chevaliers. Il leur racontait l'histoire du Paradis de Mahomet, et les enfants le croyaient, comme le croient tous les musulmans du monde. Le Vieux leur faisait boire un breuvage somnifère. Et une fois endormis, les faisait déposer à dix, six ou quatre dans ce jardin. Et les enfants se réveillaient là, dans le jardin.
 
 

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