Kubilaï Khan partant chasser au faucon
Marco Polo (1254-1324), Le Devisement du monde ou Livre des Merveilles
Récit de 1299, copié à Paris vers 1410-1412.
Enluminure d'Évrard d’Espinques. Manuscrit sur parchemin, 299 feuillets, 42 x 29,8 cm
BnF, département des Manuscrits, Français 2810, fol. 42v
© Bibliothèque nationale de France
Les chasses impériales sont des moments importants de la vie de la cour, auxquels Marco Polo consacre plusieurs chapitres. La chasse au faucon, ou à l’aigle est une tradition mongole encore vivace de nos jours. Cependant l’Empereur y déploie un faste inouï qui ne pouvait qu’impressionner les visiteurs occidentaux. L’artiste a particulièrement rendu la cour très importante qui entourait en permanence le souverain à la chasse, mais aussi dans tous ses actes.

Comment le Grand Khan traque le gibier
Chaque fauconnier a un appeau et un capuchon pour rappeler et tenir ses rapaces. Et lorsque le seigneur donne l'ordre de les lâcher, les fauconniers n'ont pas à leur courir après ; les hommes dont je vous ai parlé, les Tastaon, s'en chargent. Les oiseaux ne vont nulle part que ces hommes ne les suivent ; et ils leur viennent en aide en cas de besoin. Tous les faucons du Grand Khan portent à la patte une petite tablette qui les identifie, avec le nom de leur maître et celui de leur fauconnier ; ceux des barons également. Ainsi dès qu'il est pris, l'oiseau peut-il être rendu à son maître. Ces hommes l'apportent à un seigneur qu'on appelle Bulargusi, ce qui veut dire "le gardien des choses qui ne trouvent pas de maître". Car quiconque trouve quelque chose, un cheval, une épée, un oiseau, dont il ignore le maître, il l'apporte à ce seigneur qui le garde. Quiconque a trouvé quelque chose, et ne l'a pas rapporté, est aussitôt puni, et il doit le rendre immédiatement. Et ce seigneur se tient sur les hauteurs avec son gonfanon pour être bien visible de tous. Ainsi rien ne peut être perdu qui ne soit trouvé ni rendu.
Quelle merveilleuse quantité d'oiseaux magnifiques ne voit-on pas, lorsque le seigneur chevauche jusqu'à la mer Océane ! Nul plaisir au monde ne vaut celui-là ! Le Grand Khan s'avance, porté par quatre éléphants, dans une chambre de bois recouverte de peaux de lions, tapissée à l'intérieur d'étoffes tissées de fils d'or. Il tient avec lui douze de ses meilleurs gerfauts et il est accompagné de plusieurs de ses seigneurs. Et parfois, tandis qu'ils chevauchent à ses côtés, ceux-ci l'avertissent : « Seigneur, les grues ! ». Aussitôt, le Grand Khan fait découvrir sa chambre, et choisit un de ses gerfauts qu'il laisse aller. À plusieurs reprises le rapace saisit les grues qu'il abat devant lui. Tout en restant sur son lit dans sa chambre, en compagnie de tous ses seigneurs, le Grand Khan en a grand divertissement et grande joie. Jamais, à mon avis, il n'y a eu et, vraiment, jamais il n'y aura de si grand divertissement et de si grand plaisir au monde que celui que le Grand Khan a ou pourrait avoir.
Après une longue marche, le Grand Khan atteint Caccia Modim, où il trouve dressés dix mille beaux et riches pavillons. Ce sont les siens, ceux de ses fils, ceux de ses seigneurs et ceux de ses maîtresses. Voici le pavillon du Grand Khan. La tente où le seigneur tient sa cour est si vaste que mille personnes pourraient largement s'y rassembler. Elle a une ouverture vers le sud. C'est là que demeurent les chevaliers et les barons. Dans une autre salle contiguë à celle-ci, à l'ouest, demeure le seigneur ; c'est là qu'il fait venir ses sujets lorsqu'il veut s'entretenir avec eux. Et derrière la grande salle, il y a une chambre où dort le seigneur. Et il y a encore bien d'autres tentes et bien d'autres chambres, mais sans communication avec la grande salle.
Et voici comment sont faites ces deux salles et la chambre où dort le Grand Khan. Chacune de ces chambres repose sur trois colonnes de bois, recouvertes à l'extérieur de belles peaux de lion rayées de noir, de blanc et de vermeil, qui les protègent de la pluie et du vent. L'intérieur est tapissé de fourrures d'hermine et de zibeline. Ces deux fourrures sont les plus précieuses et les plus belles qui soient – une peau de zibeline vaudrait bien la fourrure d'un vêtement de deux mille livres d'or ou au moins de mille – les Tartars les appellent les "reines des fourrures". Ces chambres tapissées de fourrures si habilement travaillées, avec les cordes qui toutes de soie les tendent, sont d'une beauté sublime. Elles n'ont pas de prix. Aucun autre roi ne saurait être assez riche pour s'en offrir de semblables. Et tout autour, il y a encore d'autres tentes, magnifiques et bien arrangées, où l'on range les armes du Seigneur et où demeure le reste de sa cour. Et puis, il y a encore des tentes pour les oiseaux et leurs gardiens.
Il y a dans ce camp une telle quantité de tentes de toutes sortes que c'est merveille. On dirait une bonne ville, tant il y a de monde qui y vient quotidiennement de toutes parts : des médecins, des astrologues, des fauconniers et tous les métiers nécessaires à une telle population. Et il est aussi d'usage que chacun y vienne avec toute sa famille.
 
 

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