Les dragons du Yunnan
Marco Polo (1254-1324), Le Devisement du monde ou Livre des Merveilles
Récit de 1299, copié à Paris vers 1410-1412.
Enluminure par Maître d’Egerton. Manuscrit sur parchemin, 299 feuillets, 42 x 29,8 cm
BnF, département des Manuscrits, Français 2810, fol. 55v
© Bibliothèque nationale de France
Le témoignage de Marco Polo s’appuie vraisemblablement sur des descriptions exagérées des alligators de Chine, très nombreux dans le bassin du Yangzi Jiang (Fleuve Bleu). Les alligators de Chine mesurent un mètre et demi environ, une fois adulte, c’est une espèce actuellement menacée de disparition à cause des bouleversements que connaît son habitat. Sur cette base, Marco Polo, et encore plus l’enlumineur ont laissé libre leur imagination pour dessiner des dragons de légende.

Il parle encore de la province de Caraian
Il y a dans cette province des couleuvres et de gros serpents si effrayants et tellement immenses qu'ils terrifient quiconque les approche et devraient impressionner même ceux qui en entendent parler. Je vais vous raconter leur taille et leur grosseur. Ils ont généralement bien dix pas de long, certains plus, certains moins, et sont larges comme un gros tonneau de six paumes ; ils ont près de la tête deux pattes sans pied, mais avec une griffe comme la serre d'un faucon ou la patte d'un lion. Leur tête est immense, leurs yeux sont démesurés, et leur gueule est si vaste qu'ils pourraient bien engloutir un homme tout entier. Il n'y a homme ni bête qui ne les craigne ni ne les redoute, tant ils sont effrayants, laids et féroces. Voici comment on les capture. La chaleur du jour les fait rester sous terre ; ils sortent la nuit pour se repaître, et dévorent toutes les bêtes qu'ils peuvent prendre, puis vont se désaltérer aux fleuves, aux lacs et aux sources. Si grand est leur poids que, lorsqu'ils sortent la nuit pour se nourrir, leur queue laisse derrière eux dans le sable l'empreinte d'un grand trou, comme si on en avait enlevé un plein tonneau. Et voici comment les chasseurs les prennent. Ils placent un piège par les chemins par où ils sont venus, car ils le savent, ils y repasseront. Ils y plantent bien profondément dans le sable un pieu de bois auquel ils ont fixé un morceau de fer tranchant comme un rasoir, et le recouvrent pour que les serpents ne le voient pas ; ainsi font-ils tout au long du chemin que les bêtes empruntent. En passant, le serpent se blesse si violemment à ces fers tranchants qu'ils lui transpercent le poitrail jusqu'au nombril, et il en meurt. Alors, les chasseurs lui tranchent le ventre et en retirent le fiel qu'ils vont vendre fort cher. Car, il faut le savoir, on en fait de très précieux remèdes. La mesure d'un petit denier suffit à guérir un homme mordu par un chien enragé, et facilite l'accouchement des femmes. Il guérit l'ulcère ou toute autre plaie sur laquelle on l'applique même en petite quantité. C'est pourquoi on le vend si cher. Ils vendent également la chair de ces serpents, car elle est savoureuse ; ils en font leurs délices. Lorsque ces bêtes sont affamées, elles attaquent les repaires des lions, des ours et des autres bêtes sauvages, dévorant les petits que leurs parents ne peuvent secourir, et les adultes qui ne peuvent se défendre.
 
 

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