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Vienne. Souterrain

Vienne. Souterrain
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Au début des années 1860, la Compagnie de chemin de fer de Paris à Lyon et à la Méditerranée était la plus puissante des compagnies ferroviaires issues de la fusion des petits réseaux voulue par l’empereur. Reprenant l’antique voie de liaison rhodanienne qui avait structuré toute l’histoire du Vieux Continent, elle réalisait ce moderne « système de la Méditerranée » où la vitesse fulgurante des nouveaux moyens de transports ouvrait, par-delà la Méditerranée, la conquête de vastes espaces coloniaux. Lorsqu’en juillet 1861, le conseil d’administration de la région sud, Lyon-Méditerranée, commanda un album de photographies à Baldus, la Compagnie était à la veille de la fusion effective de son administration, qui devait avoir lieu au printemps suivant. Jusque-là les compagnies Paris-Lyon et Lyon-Méditerranée gardaient chacune leurs présidents et directeurs généraux. En avril 1862, une alternance de la présidence du conseil allait être instituée tandis qu’il ne resterait plus qu’un seul directeur général, justement celui de la région sud, Paulin Talabot. Ce polytechnicien, ingénieur des Ponts et Chaussées, avait à son actif la gestion d’une ligne difficile où la construction de grands ouvrages d’art avait été nécessaire. Adepte du système de la Méditerranée, il s’ingéniait également à créer à Marseille une Compagnie des docks et entrepôts dont le dock Talabot serait inauguré en 1863.
Le programme de l’album de Baldus était tout tracé : donner une image de la section Lyon-Méditerranée et de la politique de Talabot. Lyon, juste aperçue, s’étalait vue de la Saône puis, passée la gare, les ouvrages d’art prenaient le pas en quinze planches : pont de la Mulatière, viaduc du Rhône, viaduc de Gisors, souterrain de Vienne, viaduc de l’Iser, viaduc de La Voulte, dont un grand panorama qui montrait l’ouvrage en construction. En passant, on avait jeté un coup d’œil sur la petite ville de Viviers et les églises Saint-Jean et Saint-Maurice de Vienne. Puis, brutalement, sur trente planches, on se souvenait que la ligne suivait une antique voie et traversait un pays de haute culture qui avait laissé ses antiquités, remparts, châteaux et églises à Orange, Avignon, Saint-Rémy, Nîmes, Aigues-Mortes, Saint-Gilles et Arles. Vers le milieu de la promenade on avait pu méditer sur l’ensemble emblématique constitué du pont du Gard suivi des viaducs de la Durance et de Tarascon. C’était un saisissant raccourci de l’album qui instituait les œuvres de l’ingénierie du Second Empire en véritables œuvres d’art civilisatrices signant leur temps, et le règne de l’empereur en digne successeur d’Auguste. Passés le monumental viaduc de Saint-Chamas, qui sortait brutalement de terre, le viaduc de Roquefavour lorgnant celui du Gard et le souterrain de la Nerthe, on débouchait sur Marseille, sa gare et ses nombreuses vues portuaires dont un panorama du port Napoléon III. C’était la Méditerranée conquérante, mais elle s’adoucissait bientôt en paysages poétiques et civilisés. La gare de Toulon, en un bref résumé du rôle civilisateur du train, fermait l’album.
L’ouvrage de Baldus était un résumé de toute son œuvre. En effet, le photographe avait puisé dans son fonds photographique constitué depuis la campagne du Midi de 1853. Aussi retrouvait-on de grandes vues sur négatifs papier avoisinant avec de plus petites sur verre. Il y avait peu d’innovation formelle. On voyait ses vues d’architecture en plan serré ou aérées par la nature, ses paysages et le style ferroviaire dessiné pour l’album de la Compagnie du chemin de fer du Nord. Malgré le modernisme du sujet (gares et voies ferrées), il y avait encore alors un certain romantisme.
Maintenant, les images des ouvrages d’art montraient un paysage d’une rude modernité. En fait, l’ouvrage se remarquait par sa composition savante qui, juxtaposant œuvre moderne et œuvre ancienne, affirmait une longue continuité historique aboutissant en toute logique au règne de Napoléon III. Le territoire traversé à grande vitesse par le train était unifié comme le temps était raccourci et la Méditerranée, comme dans l’Antiquité, ouvrait un empire. L’album était-il une des armes de la conquête du pouvoir par Talabot ou au contraire un cadeau de remerciement ?
L’empereur et l’impératrice reçurent en effet chacun un exemplaire. Dans celui de Napoléon III, Talabot eut la délicate attention d’ajouter une photographie du château de Marseille, la résidence privée que le souverain faisait construire.
M.-C. S.-G.

© Biliothèque nationale de France

  • Date
    vers 1861
  • Auteur(es)
    Édouard Baldus (1813-1882)
  • Provenance

    Ancien D 250 / 2 B ; R. I. 1336 (entre 18 mai et 20 juillet 1863). Dépôt du château de Fontainebleau, Fb 23861

  • Lien permanent
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