Château d’Eschery

Du photographe alsacien Adolphe Braun, célèbre pour ses études de fleurs destinées à l’industrie, ses vues des Alpes et ses reproductions d’œuvres d’art tirées au charbon, on connaît moins les vues d’Alsace réalisées en 1858 et 1859. Cette ambitieuse entreprise qui totalisa 120 photographies (76 pour le Haut-Rhin et 44 pour le Bas-Rhin) est une initiative prise par Braun en 1857 et dont la réalisation commence en 1858. Elle s’inscrit dans la lignée de l’inventaire photographique de la France inauguré par la Mission héliographique en 1851, continué en 1853 par Baldus avec les Villes de France photographiées, puis par les frères Bisson avec les Reproductions photographiques des plus beaux types d’architecture et de sculpture... entre 1854 et 1863. Les très grands formats des photographies de Braun (tirages d’environ 40 x 45 cm d’après des clichés de 50 x 50 cm), la nécessité de parcourir longuement l’Alsace avec son frère Charles toutes autres affaires cessantes, en firent une opération lourde et coûteuse.
Aussi Braun, pour assurer le succès, ou du moins l’équilibre financier de son projet, sollicita-t-il les souscriptions de l’empereur et de différentes instances locales. Les premières planches, qui concernent le Haut-Rhin, furent présentées à l’automne 1858 et Napoléon III souscrivit en janvier 1859 cinq exemplaires destinés aux bibliothèques de la couronne.
Le département des Estampes et de la Photographie conserve deux d’entre eux : ces exemplaires complets ont des reliures relativement courantes, l’un provient de Compiègne et l’autre de Fontainebleau. Les deux autres, plus luxueusement reliés et provenant également de ces deux palais, comportent une dédicace sur le plat supérieur et des légendes calligraphiées : ce sont les exemplaires de présentation avant la souscription. Ils ne comptent respectivement que cinquante-deux et cinquante-quatre tirages, mais contiennent aussi des vues que l’on ne retrouvera pas dans le choix final.
L’Alsace photographiée fut proposée sous forme de livraisons, selon l’usage alors courant, mais pour le prix total exorbitant de cinq mille francs, et Braun peina à venir à bout de cette entreprise au total peu rentable. Les dernières planches furent livrées à la fin de l’année 1859. Comme le narre son historien Christian Kempf : « À l’une de ses dernières livraisons [...], il prit soin de joindre quelques vues du château d’Arenenberg, près du lac de Constance, où Napoléon III avait passé une partie de son enfance. Cette petite attention fut hautement appréciée. Pour Noël, l’empereur lui faisait parvenir une tabatière à son chiffre avec la croix de chevalier de la Légion d’honneur. »
Le choix des sujets comporte, comme souvent, beaucoup de monuments : églises gothiques ou romanes, architecture civile de la Renaissance, maisons médiévales. Les cadrages serrés sur le motif principal laissent peu de place à l’expression d’autre chose qu’un grand savoir-faire, comparable en ces respectables formats à celui des frères Bisson. Les châteaux forts laissent plus de latitude à la sensibilité de Braun : la composition de ces sujets potentiellement romantiques n’a rien d’hugolien mais révèle l’habileté du photographe à inscrire un ensemble spectaculaire de ruines dans des paysages grandioses ou familiers.
Le dernier thème abordé est le paysage. Braun fait preuve ici d’originalité et d’une heureuse variété d’inspiration, servie par l’amour manifeste qu’il porte à sa région. La forêt, les habitations rustiques traditionnelles, les usines, les nouveaux viaducs de chemin de fer donnent de l’Alsace une image complète et moderne, bien au-delà du catalogue monumental.
Cette série spectaculaire est malheureusement desservie par des tirages albuminés médiocres, même dans ces exemplaires dont on aurait attendu qu’ils fussent particulièrement soignés. Les effets des grandes vues sont souvent perdus dans ces images dont le jaunissement a altéré les contrastes ; quelques-unes seulement donnent une idée exacte de l’intention de leur auteur. Si les puristes et les collectionneurs peuvent regretter cette dégradation, la série n’en reste pas moins un ensemble remarquable dont le contenu documentaire et pittoresque demeure sensible.
S. A.