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Le renard anglois

Livre douzième, fable XXIII
Le renard anglois
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« Le bon cœur est chez vous compagnon du bon sens
Avec cent qualités trop longues à déduire,
Une noblesse d’âme, un talent pour conduire
Et les affaires et les gens,
Une humeur franche et libre, et le don d’être amie
Malgré Jupiter même et les temps orageux.
Tout cela méritait un éloge pompeux ;
Il en eût été moins selon votre génie :
La pompe vous déplaît, l’éloge vous ennuie.
J’ai donc fait celui-ci court et simple. Je veux
Y coudre encore un mot ou deux
En faveur de votre patrie :
Vous l’aimez. Les Anglais pensent profondément ;
Leur esprit, en cela, suit leur tempérament.
Creusant dans les sujets, et forts d’expériences,
Ils étendent partout l’empire des sciences.
Je ne dis point ceci pour vous faire ma cour.
Vos gens à pénétrer l’emportent sur les autres ;
Même les chiens de leur séjour
Ont meilleur nez que n’ont les nôtres.
Vos renards sont plus fins. Je m’en vais le prouver
Par un d’eux, qui, pour se sauver
Mit en usage un stratagème
Non encor pratiqué, des mieux imaginés.
Le scélérat, réduit en un péril extrême,
Et presque mis à bout par ces chiens au bon nez,
Passa près d’un patibulaire.
Là, des animaux ravissants,
Blaireaux, renards, hiboux, race encline à mal faire,
Pour l’exemple pendus, instruisaient les passants.
Leur confrère aux abois entre ces morts s’arrange.
Je crois voir Annibal qui, pressé des Romains,
Met leurs chefs en défaut, ou leur donne le change,
Et sait en vieux renard s’échapper de leurs mains.
Les clefs de meute, parvenues
À l’endroit où pour mort le traître se pendit,
Remplirent l’air de cris : leur maître les rompit,
Bien que de leurs abois ils perçassent les nues.
Il ne put soupçonner ce tour assez plaisant.
"Quelque terrier, dit-il, a sauvé mon galant ;
Mes chiens n’appellent point au-delà des colonnes
Où sont tant d’honnêtes personnes.
Il y viendra, le drôle ! " Il y vint, à son dam.
Voilà maint basset clabaudant ;
Voilà notre renard au charnier se guindant.
Maître pendu croyait qu’il en irait de même
Que le jour qu’il tendit de semblables panneaux ;
Mais le pauvret, ce coup, y laissa ses houseaux.
Tant il est vrai qu’il faut changer de stratagème.
Le chasseur, pour trouver sa propre sûreté,
N’aurait pas cependant un tel tour inventé ;
Non point par peu d’esprit ; est-il quelqu’un qui nie
Que tout Anglais n’en ait bonne provision ?
Mais le peu d’amour pour la vie
Leur nuit en mainte occasion.
Je reviens à vous, non pour dire
D’autres traits sur votre sujet ;
Tout long éloge est un projet
Trop abondant pour ma lyre :
Peu de nos chants, peu de nos vers,
Par un encens flatteur amusent l’univers
Et se font écouter des nations étranges.
Votre prince vous dit un jour
Qu’il aimait mieux un trait d’amour
Que quatre pages de louanges.
Agréez seulement le don que je vous fais
Des derniers efforts de ma muse.
C’est peu de chose ; elle est confuse
De ces ouvrages imparfaits.
Cependant ne pourriez-vous faire
Que le même hommage pût plaire
À celle qui remplit vos climats d’habitants
Tirés de l’île de Cythère ?
Vous voyez par là que j’entends
Mazarin, des amours déesse tutélaire. »

© Bibliothèque nationale de France

  • Date
    1867
  • Lieu
    Paris
  • Auteur(es)
    Gustave Doré (1832-1883), illustrateur, caricaturiste, peintre, lithographe et sculpteur ;  Jean De la Fontaine (1621-1695), auteur ; Gravure sur bois de Jules Huyot
  • Description technique
    Tiré à part d’une gravure sur bois, 23,5 x 18,7 cm.
    Épreuve d’une planche hors texte destinée à illustrer les Fables de Jean de La Fontaine avec les dessins de Gustave Doré.
    Louis Hachette (Paris), 1867. 2 vol. Tome 2, p. 356.
  • Provenance

    BnF, département des Estampes et de la Photographie, DC-298 (J)-FOL

  • Lien permanent
    ark:/12148/mm321200124j