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« Un grand lac de poix-résine bouillant à gros bouillons dans lequel s’agitent une infinité d’animaux. »

Tome I, chapitre L
« Un grand lac de poix-résine bouillant à gros bouillons dans lequel s’agitent une infinité d’animaux. »
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« Voilà, parbleu, qui est bon ! répondit don Quichotte. Comment ! les livres qui sont imprimés avec la licence des rois et l’approbation des examinateurs ; ces livres, qui, à la satisfaction générale, sont lus et vantés des grands et des petits, des riches et des pauvres, des lettrés et des ignorants, des vilains et des gentilshommes, enfin de toute espèce de gens, de quelque état et condition que ce soit ; ces livres, dis-je, seraient pur mensonge, tandis qu’ils ont si bien le cachet de la vérité, qu’on y désigne le père, la mère, le pays, les parents, l’âge, le lieu et les exploits, point pour point et jour par jour, que firent tels ou tels chevaliers ? Allons donc, taisez-vous, seigneur ; ne dites pas un si grand blasphème, et croyez-moi, car je vous donne à cet égard le meilleur conseil que puisse suivre un homme d’esprit. Sinon, lisez-les, et vous verrez quel plaisir vous en donnera la lecture.
Dites-moi donc un peu : y a-t-il un plus grand ravissement que de voir, comme qui dirait là, devant nous, un grand lac de poix-résine bouillant à gros bouillons dans lequel nagent et s’agitent une infinité de serpents, de couleuvres, de lézards, et mille autres espèces d’animaux féroces et épouvantables ? Tout à coup, du fond de ce lac, sort une lamentable voix qui dit : "Toi, chevalier, qui que tu sois, qui es à regarder ce lac effroyable, si tu veux obtenir le trésor qu’il cache sous ses noires eaux, montre la valeur de ton cœur invincible, jette-toi au milieu de ce liquide enflammé. Si tu ne le fais pas, tu ne seras pas digne de voir les hautes et prodigieuses merveilles que renferment les sept châteaux des sept fées qui gisent sous cette noire épaisseur." Le chevalier n’a pas encore achevé d’entendre la voix redoutable, que déjà, sans entrer en calcul avec lui-même, sans considérer le péril qu’il affronte, sans même se dépouiller de ses armes pesantes, mais en se recommandant à Dieu et à sa dame, il se précipite tête baissée au milieu du lac bouillonnant ; et, quand il se doute le moins de ce qu’il va devenir, le voilà qui se trouve au milieu d’une campagne fleurie, à laquelle les Champs-Élysées n’ont rien de comparable. »

© Bibliothèque nationale de France

  • Date
    1863
  • Lieu
    Paris
  • Auteur(es)
    Miguel de Cervantes Saavedra (1547-1616), Auteur ; Gustave Doré (1832-1883). Illustrateur, caricaturiste, peintre, lithographe et sculpteur ; Gravure sur bois d’Héliodore Pisan
  • Description technique
    Planche hors texte publiée dans L’ingénieux hidalgo Don Quichotte de la Manche de Miguel de Cervantes Saavedra avec les dessins de Gustave Doré.
    Traduction de Louis Viardot, Hachette (Paris), 1863. Tome I, p. 414.
  • Provenance

    BnF, Réserve des livres rares, Smith Lesouëf R-6275

  • Lien permanent
    ark:/12148/mm321200191t