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Les deux aventuriers et le talisman

Livre dixième, fable XIV
Les deux aventuriers et le talisman
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« Aucun chemin de fleurs ne conduit à la gloire.
Je n’en veux pour témoin qu’Hercule et ses travaux.
Ce dieu n’a guère de rivaux :
J’en vois peu dans la Fable, encor moins dans l’Histoire.
En voici pourtant un que de vieux talismans
Firent chercher fortune au pays des romans.
Il voyageait de compagnie.
Son camarade et lui trouvèrent un poteau
Ayant au haut cet écriteau :
"Seigneur aventurier, s’il te prend quelque envie
De voir ce que n’a vu nul chevalier errant,
Tu n’as qu’à passer ce torrent ;
Puis, prenant dans tes bras un éléphant de pierre
Que tu verras couché par terre,
Le porte, d’une haleine, au sommet de ce mont,
Qui menace les cieux de son superbe front."
L’un des deux chevaliers saigna du nez. "Si l’onde
Est rapide autant que profonde,
Dit-il, et supposé qu’on la puisse passer,
Pourquoi de l’éléphant s’aller embarrasser ?
Quelle ridicule entreprise !
Le sage l’aura fait par tel art et de guise
Qu’on le pourra porter peut-être quatre pas ;
Mais jusqu’au haut du mont, d’une haleine, il n’est pas
Au pouvoir d’un mortel, à moins que la figure
Ne soit d’un éléphant nain, pygmée, avorton,
Propre à mettre au bout d’un bâton :
Auquel cas, où l’honneur d’une telle aventure ?
On nous veut attraper dedans cette écriture :
Ce sera quelque énigme à tromper un enfant.
C’est pourquoi je vous laisse avec votre éléphant."
Le raisonneur parti, l’aventureux se lance,
Les yeux clos, à travers cette eau.
Ni profondeur ni violence
Ne purent l’arrêter ; et selon l’écriteau,
Il vit son éléphant couché sur l’autre rive.
Il le prend, il l’emporte, au haut du mont arrive,
Rencontre une esplanade, et puis une cité.
Un cri par l’éléphant est aussitôt jeté :
Le peuple aussitôt sort en armes.
Tout autre aventurier au bruit de ces alarmes
Aurait fui : celui-ci loin de tourner le dos
Veut vendre au moins sa vie, et mourir en héros.
Il fut tout étonné d’ouïr cette cohorte
Le proclamer monarque au lieu de son roi mort.
Il ne se fit prier que de la bonne sorte,
Encor que le fardeau fût, dit-il, un peu fort.
Sixte en disait autant quand on le fit Saint Père.
(Serait-ce bien une misère
Que d’être pape ou d’être roi ? )
On reconnut bientôt son peu de bonne foi.

Fortune aveugle suit aveugle hardiesse.
Le sage quelquefois fait bien d’exécuter,
Avant que de donner le temps à la sagesse
D’envisager le fait, et sans la consulter. »

© Bibliothèque nationale de France

  • Date
    1867
  • Lieu
    Paris
  • Auteur(es)
    Gustave Doré (1832-1883), illustrateur, caricaturiste, peintre, lithographe et sculpteur ;  Jean De la Fontaine (1621-1695), auteur ; Gravure sur bois de Paul Jonnard
  • Description technique
    Planche hors texte gravée sur bois, destinée à illustrer les Fables de Jean de La Fontaine avec les dessins de Gustave Doré.
    Louis Hachette (Paris), 1867. 2 vol. Tome 2, p. 238.
  • Provenance

    BnF, Réserve des livres rares, Smith Lesouëf R-6286

  • Lien permanent
    ark:/12148/mm321200302q