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La naissance des monothéïsmes

Jonas avalé par le poisson
Jonas avalé par le poisson

© Bibliothèque nationale de France

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Dans la longue histoire des religions, l’invention du monothéïsme est relativement récente. Cette nouvelle manière de concevoir la divinité marque un changement fondamental dans la spiritualité humaine.

Le monothéisme est une invention récente qui opère de manière progressive une véritable révolution dans les relations entre les dieux et les hommes. Aux mille et une divinités largement anthropomorphisées du polythéisme se substitue la transcendance radicale d’un dieu unique échappant à toute représentation dont le texte deviendra la demeure. Aux caprices présidant aux décisions arbitraires de divinités trop humaines se substitue la constance structurante de l’Alliance qui fixe, à la manière d’un contrat de mariage, les termes du pacte établi entre Dieu et son peuple.

Sa première émergence serait, selon la tradition, imputable à Moïse qui reçoit au Buisson ardent la révélation du Nom de Dieu, le tétragramme YHWH, signature mystérieuse, dont l’un des sens se rapporte au verbe « être » à tous les modes, accompli ou inaccompli : « Je suis qui Je suis », ou « Je suis qui Je serai », ou « Je serai qui Je suis. » Ainsi est indiqué le « lieu » de Dieu, comme espace retiré, réserve blanche qui échappe à toute projection ou représentation, Vide actif en perpétuel devenir. Affirmation d’un écart, d’une incompressible distance, le monothéisme creuse sa profondeur dans une marche de quarante ans au désert, il se fortifie dans l’exode, arrachement à la terre d’Égypte. C’est au cours de l’exil à Babylone au 6e siècle qu’il trouve dans le Livre de la consolation d’Israël du Second Isaïe, sa forme accomplie : « Moi, c’est moi Yahwé, et en dehors de moi il n’y a pas de sauveur. »1

L’adorant au chevreau
L’adorant au chevreau |

Photo © RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / P. et M. Chuzeville

Au commencement était le voyage
Au commencement était le voyage |

Photo © RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Hervé Lewandowski

Comme si le passage par l’épreuve du peuple d’Israël avait permis la naissance d’une intuition vertigineuse, celle du dieu fragile – dépouillé des fureurs guerrières qui accompagnaient le « Dieu des armées » –, seul dieu dont la tendresse puisse être partagée par tous.

La Bible hébraïque est habituellement considérée comme le corpus fondateur du monothéisme, qui apparaît dans la tradition juive, puis dans le christianisme et dans l’islam.

Monothéïsme, hénothéïsme, monolâtrie ? Définitions

On entend par monothéisme la foi en un dieu unique et universel, valant pour tous les hommes et pour toutes les fonctions nécessaires à leur vie. On le distingue de l’hénothéisme, ou monolâtrie, qui admet la réalité de plusieurs dieux, mais choisit de n’en adorer qu’un seul, que ce soit au niveau de la collectivité ou de l’individu. Le véritable monothéisme exige davantage encore de la part du fidèle, à savoir la certitude que son dieu est le seul qui mérite d’être qualifié de divin, effort qui suppose une forte implication individuelle de la part de ce même fidèle.

Une lente émergence

Un Proche-Orient polythéïste

Historiquement, la vénération d’un dieu unique et universel ne s’est pas, loin de là, imposée d’emblée. Le culte exclusif d’Aton, représenté sous la forme du disque solaire, dont le pharaon « hérétique » Aménophis IV - Akhenaton fut le propagandiste au 14e siècle avant J.-C., ne fut qu’un phénomène passager, borné dans le temps et dans l’espace. Surgi de nulle part, sans réelle implantation dans la religiosité égyptienne, il ne devait pas survivre à la disparition de son royal zélateur.

Le Proche-Orient, où devaient naître et s’épanouir les trois formes successives, jadis concurrentes, aujourd’hui concomitantes, du monothéisme, a offert d’abord l’exemple d’un polythéisme généralisé. On peut le constater dès l’apparition des sources littéraires les plus anciennes ; les textes religieux péribibliques découverts depuis trois quarts de siècle à Ras Shamra-Ougarit, d’êtres divins qui forment « l’assemblée » ou le « cercle » des « fils de Ilou » ; les textes littéraires que sont mythes et légendes ont tendance à concentrer sur les deux dieux principaux du panthéon, Ilou et Baalou, l’essentiel des activités divines.

Les voyages du Dieu soleil : mort et renaissance
Les voyages du Dieu soleil : mort et renaissance |

© Bibliothèque nationale de France

Les dieux des nations

Dans le lent processus depuis l’hénothéisme vers le monothéisme, la monolâtrie occupe une place importante dans l’Ancien Testament. Au 2e siècle avant J.-C., le chapitre IX de Daniel laissera encore la place aux dieux des nations. Le dieu d’Israël, seul objet d’adoration, joue alors un rôle d’arbitre. La tradition biblique avait bien conscience que les ancêtres du peuple servaient d’autres dieux2 : « Les dieux que vos pères ont servis au-delà du Fleuve. les dieux des Amorrhéens au pays desquels vous habitez » 3, ceux que l’on retrouve dans les panthéons syriens du Ier millénaire. C’est alors que Josué confesse : « Moi et ma maison nous servirons Yahwé. » Mais, à partir du 7e siècle, la réforme deutéronomique, en cofntribuant à renforcer la cohésion communautaire, va entraîner la religion nationale à considérer l’idolâtrie comme une forme de trahison.

L’influence perse. Le dieu du ciel

C’est à un hénothéisme national qu’incitait la politique des Perses achéménides envers les peuples de l’empire, chaque ethnie adorant son dieu séculaire et conservant ses propres rituels. On ne peut parler d’un hénothéisme biblique en faisant abstraction de l’organisation de l’Empire perse qui lui a donné son cadre institutionnel.

En même temps, cette politique pratiquée par les Achéménides a contribué à donner le ton à l’avènement du monothéisme en proscrivant les dieux faits de bois ou de pierre, ce qui est une tradition ancienne des Perses, et en réaffirmant la primauté du « dieu du ciel ».

L’Empire romain

Il faudra pourtant attendre l’apparition au Proche-Orient au 1er siècle avant J.-C. du premier empire mondial, l’Empire romain, étendant ses frontières de l’Espagne à l’Euphrate et son influence au-delà encore, pour que le judaïsme avec Philon d’Alexandrie, comme le christianisme qui va surgir peu après, fasse sienne l’idée qu’il n’existe qu’un seul dieu sur l’ensemble de la terre habitée.

Un seul dieu pour la terre entière

On voit que l’idée d’un seul dieu pour la terre entière, c’est-à-dire un monothéisme intégral, s’est imposée au terme d’un lent processus séculaire. L’élément présent à toutes les étapes de cette évolution et qui apparaît fondamental est celui de la paternité divine. Si un élément fondamental de la piété humaine est le sentiment d’appartenance envers la divinité, c’est bien la relation filiale qui en donne l’image la plus concrète.

À Ougarit, le théonyme Ilib de traduction incertaine, « dieu-père » ou « dieu du père », témoigne de la protohistoire du « dieu des pères » ou du « dieu-père » des récits patriarcaux de la Genèse. Plus tard, Yahwé s’adressera ainsi à son oint : « Tu es mon fils, je t’ai engendré aujourd’hui. »4 La force de cette relation filiale revêtira bien entendu une intensité singulière si le croyant a comme seul partenaire son dieu personnel à l’exclusion de tout autre.

L’existence d’un lien étroit entre monothéisme et dieu personnel ne devrait pas faire oublier celle d’un troisième élément complémentaire des deux précédents, à savoir le caractère universel du dieu qui est réputé unique. Une telle prise de conscience n’aurait guère pu se développer avant que la terre habitée et ses populations ne soient perçues comme un tout. C’est dans les années 60 de notre ère que sera peut-être donnée dans l’Épître de Paul aux Éphésiens la formulation la plus exacte en même temps que la plus concise du monothéisme universaliste : « Un seul Dieu et Père de tous, qui est au-dessus de tous, par tous et en tous » 5.

Notes

  1. Isaïe, XLIII, 11.
  2. Josué, XXIV, 2.
  3. Josué, XXIV, 15.
  4. Psaumes, II, 7.
  5. Éphésiens, IV, 6.

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