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Les Évangiles dans leurs langues

Saint Jérôme établissant sa traduction biblique
Saint Jérôme établissant sa traduction biblique

Bibliothèque nationale de France

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La force de la langue grecque

Au fondement du christianisme, les Évangiles sont la consignation tardive de la parole de Jésus. Ils sont rédigés en grec à la fin du 1er siècle. Inspirés par les besoins de la prédication, retravaillés à la lumière de la tradition orale des premières communautés chrétiennes, ils ne sauraient être considérés comme des chroniques historiquement précises de la vie de Jésus et de ses disciples. Tout autre est leur propos. À travers ce qui se présente comme un mémorial à quatre voix c’est une relecture en différé qui est proposée ; elle vise à rendre compte de l’expérience d’une présence, de la difficulté d’une absence et de l’énigme d’une mort ignominieuse. Leur enjeu est essentiellement théologique.

Évangéliaire
Évangéliaire |

© Bibliothèque nationale de France

Les Évangiles : un mémorial à quatre voix
Les Évangiles : un mémorial à quatre voix |

© Bibliothèque nationale de France

Dans cette relecture de la vie et du message de Jésus, le recours à la langue grecque va jouer un rôle décisif puisque par son intermédiaire vont s’engouffrer dans l’univers de pensée du judaïsme la culture et la philosophie hellénistiques. La transcription en grec du message de Jésus, dont la langue était l’araméen, va introduire de manière discrète des éléments d’interprétation qui ne relèvent plus du judaïsme mais du paganisme et contribuer à agrandir l’écart avec l’héritage ancestral du monothéisme juif, tout en assurant au christianisme une continuité quasi naturelle des Évangiles avec ce qui les précède – la Bible hébraïque, traduite en grec au 3e siècle avant notre ère. Première rencontre entre le monothéisme biblique et la culture hellénistique, la traduction des Septante constitue déjà une étape décisive à cet égard qui contribue à infléchir, quelques siècles plus tard, la philosophie du christianisme, quand ce ne serait qu’en traduisant l’hébreu dabar, qui signifie « parole », « discours », par logos, qui signifie « discours » mais aussi « raison », par opposition à mythos, qui devient la parole fausse.

Avant saint Jérôme
Avant saint Jérôme |

© Bibliothèque nationale de France

La sainteté de la langue latine

Le christianisme présente donc une particularité fondatrice puisqu’il porte la marque d’une langue originelle qui n’est pas celle de son fondateur et qui pourtant, à travers le rôle important de saint Paul, va imposer un nouveau modèle de lecture.
À cette première influence d’ordre philosophique va s’en ajouter une deuxième, d’ordre plus politique : en adoptant le latin, la chrétienté romaine s’assure d’une efficacité institutionnelle directement « démoulée » de celle de l’Empire romain.

La traduction de saint Jérôme à la fin du 4e siècle constitue à cet égard un virage décisif. Son voyage en Palestine pour y consulter les textes hébreux de la Bible donne à sa traduction une aura de sacralité et va sans doute contribuer à faire progressivement oublier que la langue latine était étrangère à la Révélation. L’entreprise unificatrice de Charlemagne, désireux dans son souci de refondation du Saint Empire de s’appuyer sur le prestige encore vivant de la langue des empereurs romains, achèvera de consacrer la sainteté de la langue latine.

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