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Les textes fondateurs du christianisme

© Bibliothèque nationale de France
Les fondements du christianisme reposent sur l’enseignement, la vie et la personne de Jésus, centre de la doctrine chrétienne. Jésus accomplit par sa parole et par ses gestes les promesses annoncées par les Écritures. En son temps, le caractère révolutionnaire de son message provoque une lecture renouvelée de la Bible hébraïque, consignée quelques décennies plus tard dans les Évangiles ; débuts d’une articulation difficile du « christianisme » avec le judaïsme dont il est issu.
La simplicité des termes ne saurait faire oublier pour autant l’étonnante diversité des voix fédérées sous le titre de « textes fondateurs », ni la longue aventure des Écritures qui, au cours de deux millénaires, n’ont cessé d’advenir dans de nouvelles langues, de se « perdre » et de se retrouver dans de nouvelles traductions.
L’expression « textes fondateurs » a une signification complexe, voire ambiguë : elle peut viser des écrits supposés antérieurs à la religion qu’ils auraient engendrée, ou désigner le recueil officiel de ses documents les plus anciennement authentifiés, ou encore se restreindre à un choix de textes jugés plus fondamentaux. On peut envisager ces trois sens dans le cas du christianisme.

Une allégorie polémique : la Synagogue aux yeux voilés
Soucieux de dégager la nouveauté de son message, le christianisme a souvent été tenté de considérer, à travers l’interprétation des Pères de l’Église, que le « Nouveau Testament » rendait caduc l’ « Ancien » ou que, à tout le moins, celui-ci ne pouvait se lire qu’à la lumière du nouvel éclairage apporté par Jésus venu révéler au grand jour ce qui était resté jusque-là dissimulé sous le discours de l’énigme.
La miniature de ce doctrinal utilisant un vocabulaire familier aux artistes des cathédrales médiévales en est une illustration frappante : à gauche, la Synagogue, baissant la tête, les yeux voilés par un bandeau, tenant de la main gauche les tables d’une Loi mosaïque prête à tomber au sol, semble bien, dans l’hésitation de sa posture et l’extrême simplicité de sa robe d’un mauve éteint, sur le point de céder la place à l’Église couronnée et nimbée qui lève son visage avec assurance, portant très haut dans sa main gauche la croix du Christ comme un étendard, et dans sa main droite le ciboire contenant le sang du Christ. L’éclat de ses vêtements, la fierté de sa posture solidement adossée au bord de l’image trahissent l’avantage qui lui est ici ostensiblement accordé.
© Bibliothèque nationale de France
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Fondé sur ce qui passe
Il est probable que plusieurs religions attribuent leurs origines à des Écritures préexistantes ; la critique historique, quant à elle, ne connaît que des recueils assemblés pièces par pièces dans le cours des temps au prix de multiples réécritures. Dans le cas du christianisme, dont les origines, relativement récentes, sont assez aisément contrôlables, la discussion n’a pas lieu d’être. Celui qui est couramment désigné comme son fondateur n’a lui-même rien écrit, hormis quelques signes sur le sable, rapporte une tradition, ni dicté ou inspiré directement quoi que ce soit, puisque le premier écrivain chrétien, Paul, n’a pas connu Jésus et que les Évangiles, qui rapportent ses paroles et ses faits et gestes, sont postérieurs à sa mort d’un demi-siècle environ sans être tous l’œuvre de témoins directs.

La Prédication de saint Paul à Athènes
Le christianisme naissant connaît, avec l’apôtre Paul (vers 5-67 après J.-C.), citoyen romain de religion juive converti au christianisme, un bouleversement radical. Jésus prêchait en araméen et sa prédication concernait en premier lieu les habitants des campagnes de Galilée. Paul, lui, prêche en grec et les innombrables missions qu’il effectue en Asie mineure auprès des communautés juives de la diaspora et auprès des Grecs, en Grèce et jusqu’à Rome, contribuent à l’hellénisation du message chrétien et à sa diffusion dans les cités de l’empire.
Avec une force dramatique et une exagération des postures qui ne sont pas sans évoquer l’art du Greco, l’épisode représenté sur ce bas-relief de Germain Pilon, illustrant autrefois la chaire de l’église des Grands-Augustins, évoque le discours que l'« apôtre des Gentils » adresse aux Athéniens devant l’Aréopage, après avoir essuyé à Thessalonique et à Bérée un accueil difficile auprès des juifs. Avec une réelle intelligence tactique il s’appuie dans sa plaidoirie, pour combattre le paganisme, sur la sagesse profane, celle des poètes et des philosophes : « Athéniens, à tous égards vous êtes, je le vois, les plus religieux de tous les hommes. Parcourant en effet votre ville et considérant vos monuments sacrés, j’ai trouvé jusqu’à un autel, avec l’inscription : Au dieu inconnu. Eh bien ! Ce que vous adorez sans le connaître, je viens, moi, vous l’annoncer. » (Actes des apôtres, XVII, 22-23.)
© Photo RMN / © Droits réservés
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Résurrection de Lazare
Les miracles qui ponctuent la prédication de Jésus ont toujours une valeur d'enseignement ; ils précèdent ou accompagnent sa parole, l'illustrent ou l'explicitent. Ainsi, la résurrection de Lazare succède-t-elle à la profession de foi de sa sœur Marthe et à la déclaration de Jésus sur la résurrection des morts (9, 25): « Je suis la résurrection. Qui croit en moi, même s'il meurt, vivra ; et quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais. » Pour la tradition chrétienne, la résurrection de Lazare est une préfiguration du salut des hommes annoncé par Jésus.
© Bibliothèque nationale de France
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Jésus n’a pas laissé non plus un enseignement susceptible d’être communiqué sous une forme orale quelque peu systématique ni un ensemble doctrinal, un credo – il parlait en paraboles, est-il dit de lui – ni un code législatif, mais le seul précepte d’aimer son prochain, au témoignage de Paul et de Jean, ni un rituel, hormis le baptême, signe de conversion usité dans plusieurs « courants » dissidents du judaïsme de son temps, et quelques paroles prononcées au cours de son dernier repas, qui ne pourront être comprises qu’après sa mort comme le signe de sa présence autrement maintenue. Aussi paraît-il plus juste de dire que le christianisme s’est fondé sur lui qu’il n’a été fondé par lui. Faut-il s’en étonner ? Jésus attendait le règne de Dieu, il ne rêvait pas d’institutions destinées à durer dans le temps ; et l’essentiel de la foi chrétienne, qui consiste à croire que sa mort et son élévation auprès de Dieu ouvrent aux hommes l’accès à son royaume, ne pouvait prendre sens et effectivité qu’après sa disparition. Or, cette foi s’est longtemps répandue uniquement par la voie orale de la prédication de ses apôtres – ou envoyés – relayée par le témoignage des chrétiens.

La Cène, le lavement des pieds, l'institution de l'eucharistie
À la veille de sa mort, lors de la Pâque juive qu'il partage avec ses apôtres, Jésus institue l'eucharistie (la transformation du pain et du vin) comme mémorial de son sacrifice : « ceci est mon corps [...], ceci est mon sang, versé pour la multitude, pour le pardon des péchés » (Matthieu 26, 26). L'eucharistie (littéralement « actions de grâces » en grec) marque le signe de la présence définitive de Dieu auprès des hommes et devient, dès les premiers siècles, le fondement de la liturgie chrétienne.
Lors du dernier repas qu'il va partager avec ses disciples, Jésus lave les pieds de ses amis, assumant ainsi le rôle de serviteur de Dieu et des hommes, et appelant ses disciples à le suivre dans cette voie. (Jean 13, 1-20)
© Bibliothèque nationale de France
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Les épîtres de Paul (ou d’autres) sont des lettres adressées à des communautés, le plus souvent fondées par lui, à qui il rappelle tel ou tel enseignement qu’il leur avait donné, en fonction des circonstances qui motivaient cette correspondance, et ces lettres n’étaient pas destinées au départ à être lues partout. Les Évangiles, dont l’objectif est plus exhaustif et normatif, voient le jour pareillement dans des communautés particulières qui croyaient au Christ longtemps avant qu’ils n’aient été rédigés. On ne sait pas par quel cheminement ils se sont répandus, puis ont été joints les uns aux autres, pas plus qu’on ne sait comment les épîtres ont fini par être rassemblées en codex.
Il faudra attendre un bon siècle pour que la plupart de ces écrits soient connus dans la plupart des lieux où vivaient des chrétiens, après avoir été authentifiés par leur provenance et leur consonance avec la « tradition des apôtres », c’est-à-dire avec leur enseignement retransmis par la prédication orale des Églises, qui est donc le vrai et le seul lieu d’origine du christianisme. L’évêque de Lyon saint Irénée en porte témoignage vers 180 : les « Barbares », dit-il, n’ont pas eu besoin d’écritures, qu’ils n’auraient d’ailleurs pas su lire, pour apprendre tout ce qu’il est nécessaire de croire, et il le résume en quelques phrases qui sont la première formulation de ce qui sera appelé le « symbole des Apôtres. » Jusque-là donc le christianisme relève formellement de l’oralité : c’est la raison de dire qu’il n’est pas une religion du livre, qu’il n’est pas fondé sur une collection d’écrits, mais sur des témoignages échangés, des souvenirs recueillis, des lettres qui circulent, des paroles colportées, fondé sur ce qui passe : sur le passage d’un homme en route vers la maison de son Père à travers les vies humaines qu’il entraîne à sa suite.
Fondé sur ce qui devait arriver
Autour de 200, il est attesté que de nombreuses Églises ont reçu la plupart des Écritures qui constituent aujourd’hui ce qu’on appelait déjà l’Ancien et le Nouveau Testament. Même en l’absence d’un catalogue officiel et définitif, il est juste de dire que le christianisme repose désormais sur des textes fondateurs. Mais voyons en quel sens.

Tétraévangile
Le grec joue un rôle fondamental dans l'histoire de la transmission des textes bibliques. Dans ses innombrables missions en Asie, Paul prêche en grec, contribuant à l'hellénisation du message chrétien. Le grec devient la langue originale des évangiles ; c'est aussi celle de la première traduction du Pentateuque hébreu, connue sous le nom de Septante (3e siècle av. J.-C.). La tradition grecque est restée vivante au sein de l'Empire byzantin et des églises orthodoxes et orientales.
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Les textes les plus originaux, même s’ils ne sont pas les plus anciens, sont les quatre Évangiles de Matthieu, Marc, Luc et Jean, qui racontent, en substance, la vie de Jésus, sa naissance, sa mission publique, son procès, sa mort et sa sortie de l’histoire qui fut sa montée vers Dieu. Ils sont, certes, pleins de ses enseignements, mais ceux-ci consistent le plus souvent en paroles brèves (l’Évangile de Jean mis à part), circonstanciées et situées : réponses à des gens de rencontre, conversations de table, entretiens avec ses disciples, paraboles inspirées par des événements fortuits, discussions avec des adversaires, instructions dispersées au cours de ses déplacements de bourgade en bourgade et entrecoupées de séances de guérisons ; bref, toutes ces paroles sont enchâssées dans du récit, elles sont du récit, elles appartiennent à la rumeur qui le précédait et le suivait, elles tracent son portrait, elles expliquent ce qui lui arrivait et annoncent ce qui allait se passer à l’heure décisive où il serait enchaîné et se tairait. Les Évangiles retournent donc le regard des lecteurs vers la personne et l’événement de Jésus, pour leur donner à voir l’invisible de ce qui se passait, à savoir que Dieu était avec lui en acte de sauver le monde, afin qu’ils croient en lui et décident de le suivre à leur tour.

Le Baptême du Christ
Le baptême représente l'entrée officielle de Jésus dans la vie publique : pour les chrétiens, il s'agit d'un acte symbolique, par lequel Jean-Baptiste, dernier prophète, marque le passage de l'Ancien au Nouveau Testament. Très tôt, l'église interprétera cet épisode comme la préfiguration du sacrement du baptême. La tradition y voit aussi la manifestation de la Trinité (Dieu en trois personnes) : Dieu le Père représenté par la voix venue du ciel, la colombe représentant l'Esprit Saint et enfin Jésus le fils.
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Le Christ en croix
Pour les chrétiens, la crucifixion de Jésus, ultime étape de la « passion », est un acte d'amour, Jésus donnant librement sa vie pour le salut des hommes et prenant sur lui le péché du monde. Selon la tradition, la crucifixion, indissociable de la résurrection, représente le « mystère de la Rédemption » ; dans un geste définitif, elle réalise le triomphe de la vie sur la mort.
Au pied de la Croix se tiennent Marie, mère de Jésus, et Jean, « le disciple que [Jésus] aimait » (Jean 19, 25). Selon la tradition, la présence de Marie, propre à l'évangile de Jean, préfigure le rôle primordial de « nouvelle ève » qu'elle jouera dans l'église auprès des chrétiens, représenté ici par Jean.
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L’autre bloc d’écrits du Nouveau Testament, les lettres de Paul, Jacques, Pierre, Jean et Jude, répond pareillement au même double but d’éclairer le sens de la vie et de la mort de Jésus et d’inciter les chrétiens à le reproduire en eux. Ainsi que le montre l’épisode final de l’Évangile de Luc – l’aventure de deux disciples en fuite après la mort de Jésus et ramenés par lui là où se tenaient les apôtres –, les Épîtres s’enchaînent aux Évangiles pour inviter les chrétiens à accueillir le Christ dans leur histoire et à faire l’histoire avec lui, celle de l’humanité nouvelle réconciliée avec Dieu, dont les Actes des Apôtres racontent le début dans les persécutions, et l’Apocalypse la fin triomphale dans le royaume de Dieu. Pris dans son ensemble, le Nouveau Testament est donc un récit, celui de l’histoire énigmatique et inachevée de Jésus, qui prend sens dans le prolongement qu’elle se donne en ceux qui le suivent, jusqu’au terme de l’aventure humaine.
Mais il y a d’autres écrits chrétiens, ceux qui viennent de la Bible des juifs (dans sa version grecque) : peut-on les ranger parmi les « textes fondateurs » du christianisme ? Cela paraît risqué, sous peine de nier leur appartenance originelle au peuple juif et d’oublier que les chrétiens ont rejeté la Loi qui constitue pour lui l’essentiel de la révélation. Or, les chrétiens n’ont pas accueilli ces écrits pour s’approprier l’histoire de ce peuple, mais pour autant que Jésus les avait réécrits dans sa mémoire, en y déchiffrant, jour après jour, le destin qui l’attendait. Ils les lisent au futur antérieur, comme sa préhistoire, la préparation de sa venue au monde depuis les origines de l’humanité, le récit anticipé de ce qui devait lui arriver et doit arriver aux hommes à travers lui. Relu à partir du Nouveau Testament où il se projette, l’Ancien Testament est moins un fondement qu’un passé sans fond qui ouvre à Jésus un avenir illimité dans l’histoire humaine.
Fondé sur ce qui vient
Parmi tous ces textes fondateurs, quelques-uns, quelques passages ou récits, peuvent être choisis comme plus « fondamentaux » que d’autres, parce qu’ils caractérisent mieux la singularité du christianisme, son esprit ou sa visée globale. J’en ai retenu trois, qui appartiennent sans conteste à sa fondation historique, mais pour le motif qui vient d’être dit : ils le propulsent vers un futur incertain plus qu’ils ne l’affermissent sur son passé.
Le premier texte sera le récit de la Passion de Jésus (par exemple, en Matthieu 26-27), lu dans l’esprit de saint Paul : « Ce que nous annonçons, c’est un Christ crucifié, scandale pour les Juifs et folie pour les Grecs, mais pour les élus, tant Juifs que Grecs, puissance et sagesse de Dieu. » (Corinthiens, 1, 23-24.) En ces quelques mots est pointée la singularité du christianisme, entre religion et philosophie, dans son double affrontement historique à la pensée juive et à la pensée grecque. Religion déstabilisante, qui réclame la foi sans donner de garanties, promet le salut dans l’échec d’un prétendant rejeté, et montre Dieu se révélant dans le supplice d’un blasphémateur, dont le tombeau sera trouvé ouvert et vide. Défi lancé à la philosophie de penser un Dieu sans évidence ni puissance, mais capable de s’anéantir par amour, dont la justice est pardon inconditionné, qui n’intervient pas avec éclat dans les affaires des hommes, ni n’attend d’eux sa gloire, mais se met à leur recherche pour qu’ils puissent le trouver. Une telle fondation, hors lieu, dans un suspens du temps, ne donne pas au christianisme l’assise sécurisante d’un passé riche et glorieux, mais le jette dans un avenir risqué qu’il devra s’inventer au jour le jour, à la poursuite épuisante d’un Dieu qui passe, voilé, au milieu des hommes.
Le deuxième texte sélectionné est le discours inaugural de la mission de Jésus appelé « Sermon sur la montagne » (Matthieu, 5-7). Texte programmatif mais déconcertant, car on s’attendrait à y trouver un condensé de la religion chrétienne, dogme, culte et morale, et on y trouve tout autre chose, ou cela tout autrement qu’on l’imaginait. Le culte consiste à prier Dieu en tant qu’il est « notre Père », dans le secret, avec confiance, mais sans le traiter en pourvoyeur de tous nos besoins ; le dogme, à « chercher d’abord le royaume de Dieu et sa justice » ; le salut se résume dans l’impossible exigence de « devenir parfaits comme votre Père céleste est parfait », par l’amour des ennemis et le pardon des offenses ; et la morale, dans ce seul précepte : « Faites pour les autres ce que vous souhaiteriez qu’ils fassent pour vous. » Et Jésus de conclure : « Voilà la Loi et les prophètes. » Voilà comment le christianisme est « religion du Livre », religion d’un texte global qui n’est pas écrit, si ce n’est dans notre désir, et qui est toujours à écrire, dans le tissu de la relation aux autres. Il est Évangile et religion, mais l’Évangile, qui est désir, attente et travail d’altérité, y passe infiniment la religion.
Le choix, plus personnel, du troisième texte est motivé par une vue historique : il s’agit de l’interprétation par Paul, dans deux de ses lettres (Galates, 3 et Romains, 4), de la promesse d’une descendance faite par Dieu à Abraham, où il voit une annonce du salut par la seule foi au Christ sans les œuvres de la Loi. Cette interprétation met en effet, entre le christianisme et le judaïsme ancien, un lien dialectique de filiation – car la descendance promise, dit Paul, c’est le Christ – en même temps que de séparation – car Abraham a plu à Dieu par la foi, explique-t-il, non par l’obéissance à la Loi, venue beaucoup plus tard. La libération de la loi religieuse, dans la pensée de Paul, est requise par l’universalisme du salut accompli sur la Croix, qui n’est pas réservé à un seul peuple et interdit d’en exclure les païens ; il érige ainsi l’Évangile en lieu de réconciliation du Juif et du Grec et de rassemblement des peuples. Cette libération – cette lecture de texte – a été l’acte de fondation historique du christianisme dès lors séparé du judaïsme, et demeure en lui comme un principe structurant, qui lui interdit de devenir loi aliénante et de se refermer sur soi – tentation précisément « fondamentaliste » de toute religion du Livre – et qui, lui retirant son passé, lui donne pour espace de vie et pour raison d’être un avenir à se créer avec les autres. C’est ainsi que le christianisme est fondé sur ce qui vient : sur la rencontre à venir du même et de l’autre, sur l’unité à faire entre tous les hommes, sur le royaume de Dieu qui est tout cela, qui vient en tout cela.
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