Portrait de Jean Duvergier de Hauranne, abbé de Saint-Cyran
Philippe de Champaigne, vers 1647-1648
Huile sur toile
Versailles, Musée national des châteaux de Versailles et de Trianon, MV 4195, Inv. 1143
Philippe de Champaigne a exécuté le portrait de Saint-Cyran quelques années après sa mort, en utilisant l’empreinte de son visage que Claude Lancelot, l’un des « Solitaires » de Port-Royal, avait fait prendre à sa mort, en 1643. Le peintre a laissé deux images de Saint-Cyran : l’une, peinte avant 1648, le représente à mi-corps, de trois-quarts à gauche, derrière un appui de pierre ; l’autre, présentée ici, reprend ce portrait dans un cadrage élargi et une mise en scène où le prêtre pose sa main droite sur les deux volumes de la Bible et les œuvres de saint Augustin, dans un geste d’attestation qui renvoie aux deux sources de sa foi : portrait spirituel, qui rappelle sous l’image de l’homme le maître de la spiritualité augustinienne, dont Port-Royal fut l’un des principaux foyers de diffusion dans la France du XVIIe siècle. Après des études de théologie qui avaient fait de lui un spécialiste des pères de l’Église, Saint-Cyran (1581-1643), devenu prêtre en 1618, se convertit bientôt à une piété et un mode de vie chrétienne plus exigeants. Par l’intermédiaire de Robert Arnauld d’Andilly (1589-1674), l’aîné de la famille Arnauld qu’il avait rencontré en 1620, il entra en contact avec la mère Angélique Arnauld, abbesse et réformatrice du monastère de Port-Royal : il devait y jouer un rôle majeur à partir de 1634- 1635, comme prédicateur et confesseur des religieuses.
Son influence s’exerça sur Pascal par l’intermédiaire de deux gentilshommes normands réputés pour leurs talents chirurgicaux, les frères Adrien Deschamps de La Bouteillerie et Jean Deschamps des Landes : entre 1642 et 1645, sous l’influence de Jean Guillebert, curé de Rouville dans le diocèse de Rouen et disciple de Saint-Cyran, ils avaient renoncé à une vie agitée de gentilshommes bretteurs pour conformer leur existence aux préceptes évangéliques. Or, « au mois de janvier de l’année 1646, écrit Gilberte Périer dans sa Vie de Jacqueline Pascal, mon père s’étant démis une cuisse en tombant sur la glace, il ne put prendre confiance en cet accident qu’à MM. de La Bouteillerie et des Landes, qui eurent la bonté de demeurer chez lui trois mois de suite, pour être présents et pour remédier à tous les accidents qui arrivaient à toute heure. Toute la maison profita du séjour de ces messieurs. Leurs discours édifiants et leur bonne vie que l’on connaissait donnèrent envie à mon père, à mon frère et à ma sœur, de voir les livres qu’on jugeait qui leur avaient servi pour parvenir à cet état. Ce fut donc alors qu’ils commencèrent tous à prendre connaissance des ouvrages de M. Jansénius, de M. de Saint-Cyran, de M. Arnauld ». Ainsi s’opéra progressivement, entre janvier 1646 et l’été 1647, ce qu’on a coutume d’appeler la « première conversion » de Pascal : conversion non pas au sens moderne d’un passage de l’incrédulité à la foi, mais au sens où l’entendaient Saint-Cyran et les auteurs spirituels du XVIIe siècle, comme renouvellement intérieur de la foi chrétienne.