[Blaise Pascal], Lettre escritte à un provincial par un de ses amis. Sur le sujet des disputes presentes de la Sorbonne. De Paris ce 23. Janvier 1656…
Bibliothèque nationale de France, bibliothèque de l'Arsenal, 4O-H-14168
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La procédure que la Sorbonne entreprit contre Arnauld est à l’origine de l’entrée de Pascal dans l’arène. Lui-même s’était engagé depuis quelques mois dans une réflexion théologique approfondie sur la question de la grâce, qui ne pouvait le laisser indifférent à un conflit où, au-delà de Port-Royal et de la personne d’Arnauld, la théologie augustinienne de la grâce efficace paraissait menacée comme doctrine de l’Église. En le désignant du nom de Montalte, qu’il adopta un peu plus tard, Pierre Nicole a relaté, dans la quatrième édition de sa traduction latine des Provinciales, les circonstances dans lesquelles il aurait pris la décision d’aider ses amis, au cours d’une conversation avec quelques Solitaires de Port-Royal où l’on avait émis le projet de rédiger un factum en faveur d’Arnauld : « Tous approuvèrent ce dessein, mais personne ne s’offrait pour le réaliser. Alors Montalte, qui n’avait encore presque rien écrit, et qui ne connaissait pas combien il était capable de réussir dans ces sortes d’ouvrage, dit qu’il concevait à la vérité comment on pouvait faire ce factum, mais que tout ce qu’il pouvait promettre était d’en ébaucher un projet, en attendant qu’il se trouvât quelqu’un qui pût le polir et le mettre en état de paraître. Voilà comment il s’engagea simplement, et ne pensait pour lors à rien moins qu’aux Provinciales. Il voulut le lendemain travailler au projet qu’il avait promis ; mais, au lieu d’une ébauche, il fit tout de suite la première lettre, telle que nous l’avons. Il la communiqua à un de ses amis, qui jugea à propos qu’on l’imprimât incessamment, et cela fut exécuté. »
Cette première lettre se terminait par l’annonce d’une seconde, qui ne la suivit que de quelques jours. Ainsi se succédèrent à un rythme soutenu quatre lettres du 23 janvier au 25 février 1656, qui, par leur unique sujet, constituent la première série des Provinciales : toutes sont consacrées à la question de la grâce et épousent au plus près de l’actualité l’histoire des « disputes de Sorbonne » et l’évolution de l’affaire Arnauld.
Le caractère d’écrits de circonstance est également accusé par leur forme éditoriale : elles sont composées d’un simple cahier de format in-4o (soit huit pages imprimées), à l’exception des trois dernières qui peuvent compter 12 pages réparties sur deux cahiers in-4 o. La forme était donc bien celle du factum, comme le disait Nicole, et se recommandait par son efficacité guerrière : nulle ne se prêtait mieux à une composition et une distribution très rapides, à l’abri des regards de la police. La rapidité d’exécution permettait aussi de multiplier aisément les éditions pour augmenter la diffusion et atteindre un public très nombreux. C’est ainsi qu’on connaît huit éditions différentes de la première lettre, six de la seconde, cinq de la troisième, autant de la quatrième. Pour chaque lettre, ces éditions sont très proches les unes des autres tant par l’aspect que par la date et très délicates à classer les unes par rapport aux autres. Par le journal de Baudry d’Ausson de Saint-Gilles, un Solitaire de Port-Royal chargé de suivre les affaires de librairie du parti janséniste, on sait du moins que les deux premières Provinciales sortirent des presses parisiennes de Pierre Le Petit, mais aussi qu’un peu plus tard, à la fin du mois de mars, son confrère Denis Langlois, après avoir imprimé la cinquième Provinciale, procédait à des réimpressions des premières d’entre elles.