Blaise Pascal, Mémorial
Manuscrit autographe, novembre 1654.
350 x 215 mm
Bibliothèque nationale de France, département des Manuscrits, Français 9202, f. D
© Bibliothèque nationale de France
« Peu de jours après la mort de M. Pascal, un domestique de la maison s’aperçut par hasard que dans la doublure du pourpoint de cet illustre défunt il y avait quelque chose qui paraissait plus épais que le reste, et ayant décousu cet endroit pour voir ce que c’était il y trouva un petit parchemin plié et écrit de la main de M.  Pascal, et dans ce parchemin un papier écrit de la même main : l’un était une copie fidèle de l’autre. Ces deux pièces furent aussitôt mises entre les mains de Madame Périer qui les fit voir à plusieurs de ses amis particuliers. Tous convinrent qu’on ne pouvait pas douter que ce parchemin, écrit avec tant de soin et avec des caractères si remarquables, ne fût une espèce de mémorial qu’il gardait très soigneusement pour conserver le souvenir d’une chose qu’il voulait avoir toujours présente à ses yeux et à son esprit, puisque depuis huit ans il prenait le soin de le coudre et découdre à mesure qu’il changeait d’habits. » Tels sont les faits rapportés par le P. Pierre Guerrier, l’oratorien de Clermont lié à la nièce de Pascal, Marguerite Périer, dans une note datée du 1er février 1732. De ce témoignage est venue plus tard l’habitude de désigner du nom de « Mémorial » la page que Pascal écrivit sous la dictée de l’effusion spirituelle qu’il connut dans la nuit du 23 novembre 1654, « depuis environ dix heures et demi du soir jusques environ minuit et demi », dans la maison qu’il occupait depuis peu rue des Francs-Bourgeois- Saint-Michel (à hauteur de l’actuel n° 54 de la rue Monsieur-le-Prince).
Cet événement constitue ce que l’historiographie a coutume d’appeler la « seconde conversion » de Pascal, qui renouvelle la conversion de 1646 à la spiritualité augustinienne de Saint-Cyran. S’il inaugure une période neuve dans la vie de Pascal, il n’a cependant pas surgi sans préparation : il apparaît au contraire comme le dénouement d’une inquiétude religieuse que connaissait Pascal depuis plusieurs mois, comme l’atteste la correspondance de sa sœur Jacqueline. Le texte capital du Mémorial est « la lave encore brûlante au moment où elle jaillit. Les mots sont ici contemporains d’une parole intérieure qui se comprend elle-même au-delà de ce qu’elle dicte, notes brèves laissées comme des repères à mesure que la méditation réfléchit l’émotion » (Gouhier 1971). L’intime liaison de l’émotion et de la méditation se traduit par l’entrelacement des citations de la Bible et des paroles qui consignent l’expérience personnelle de la Révélation. Dans cette communion de la parole individuelle du chrétien à la parole de Dieu qui la traverse de part en part, se déclare la nature exacte du texte de Pascal : bien plus qu’un mémento et que « le nœud que l’on fait à son mouchoir » dont parlait Barrès, le Mémorial est une action de grâce – d’où le mot Amen qui apparaît dans les dernières lignes de la version sur parchemin.
Le feuillet autographe sur papier fournit la première version du texte, qui a certainement suivi de quelques heures seulement l’événement mystique dont elle témoigne. On y distingue néanmoins plusieurs moments, graphiquement repérables. Le premier jet s’achève sur le nom de Jésus Christ écrit en plus grosses lettres et suivi d’un point. On remarque dans cette première partie, qui compte vingt-huit lignes (en incluant les signes graphiques non verbaux tels que la croix initiale ou le trait de séparation entre la vingt-quatrième et la vingt-sixième ligne), des corrections et additions ponctuelles, qui sans doute intervinrent presque immédiatement. Puis une seconde partie de six lignes est séparée de ce qui précède par un trait en forme d’équerre dans la marge gauche. Commençant par la répétition du nom de Jésus Christ et s’achevant sur les mots « Renonciation totale et douce. Etc. », elle reprend des éléments de l’action de grâce précédente pour en faire un vœu d’union personnelle et éternelle au Christ.
Le manuscrit autographe du Mémorial est aujourd’hui relié en tête du recueil original des Pensées. Cette disposition est intervenue tardivement, après le dépôt du recueil original à l’abbaye Saint-Germain-des-Prés en septembre 1711. Mais s’il n’appartient pas à l’œuvre des Pensées, le Mémorial n’en est pas moins sa source la plus profonde : il est « le discours-prototype de Pascal, où se rassemblent et se cristallisent toutes ses pensées les plus secrètes et les plus fondamentales, et d’où elles ne cesseront ensuite de rejaillir à partir de 1655 » (Martineau 1992).
 
 

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