Le Christ au Jardin des oliviers
Philippe de Champaigne, vers 1646-1650
Huile sur toile, 720 x 100 cm
Rennes, Musée des Beaux-Arts, http://www.mbar.org/, Inv. 81.7.1
Photo © MBA, Rennes, Dist. RMN-Grand Palais / Patrick Merret
Présente en 1794 au couvent parisien des religieuses hospitalières de Sainte-Catherine, communauté très liée à Port-Royal, cette toile s’inspire d’une composition du Flamand Maarten de Vos (1532-1603) telle qu’elle avait été gravée en sens inverse dans une suite intitulée Passio et Resurrectio D. N. Jesu Christi, publiée au début du XVIIe siècle à Paris par l’éditeur et graveur d’estampes Pierre Firens : elle lui emprunte de nombreux détails comme la position du Christ tombé à terre, le geste de ses mains, l’approche de la bande armée conduite par Judas à l’arrière-plan, le dessin du rocher sur le bord duquel se découpe la silhouette de grands arbres, le ciel nocturne éclairé par la lumière froide de la lune dans la partie gauche du tableau, à quoi s’oppose à droite la lumière radieuse de la gloire divine. Mais si son modèle était fidèle au récit des Évangiles, Champaigne l’a remanié en rejetant le motif des disciples endormis au second plan, et interprété de manière à être plus littéralement fidèle à la version de saint Luc. Ainsi il a ajouté devant le Christ un ange, car « il lui apparut un ange du ciel qui le vint fortifier » (Luc XXII, 43, trad. Le Maistre de Sacy), et peint sur son visage le sang de l’agonie dont Luc est seul à parler : « Étant tombé en agonie, il redoublait ses prières. Et il lui vint une sueur comme de gouttes de sang qui découlaient jusqu’à terre. » (XXII, 43-44.) Littéralisme par conséquent investi d’un profond sens spirituel : reprendre la composition de Martin de Vos dans le respect littéral de l’Évangile de saint Luc, où le visage de douleur du Christ oublié par ses disciples endormis est déjà celui du couronnement d’épines, où, au Jardin des oliviers, « Jésus est dans un jardin, non de délices, comme le premier Adam, où il se perdit et tout le genre humain, mais dans un de supplices, où il s’est sauvé et tout le genre humain » (S. 749), c’est faire « que le peuple entende l’esprit de la lettre, et que les habiles soumettent leur esprit à la lettre » (S. 252). Il y a, de ce point de vue, une rencontre remarquable entre cette toile de Champaigne et la lecture pascalienne de l’Écriture.
Le moment de l’entrée du Christ dans son agonie au Jardin des Oliviers occupe au demeurant une place capitale chez Pascal : en témoigne par exemple le fragment 751, qui fait référence au même passage de saint Luc (« Je pensais à toi dans mon agonie, j’ai versé telles gouttes de sang »), mais surtout la grande méditation connue sous le nom de « Mystère de Jésus » (S. 749), où s’exprime avec une remarquable insistance le thème de l’« abandon dans l’horreur de la nuit » et du « délaissement universel ». La méditation de Pascal sur l’épisode du Jardin des oliviers, qu’il a privilégié plus qu’aucun autre dans le cycle de la Passion, commandait aussi une règle de vie, ainsi rapportée par Marguerite Périer : « […] il faisait voir qu’il n’avait nul attachement pour ceux qu’il aimait. […] Mais il n’en demeurait pas là ; car non seulement il n’avait point d’attachement pour les autres, mais il ne voulait point du tout que les autres en eussent pour lui. » À ce passage de la Vie de Pascal fait écho ce fragment du « Mystère de Jésus » : « Jésus s’arrache d’avec ses disciples pour entrer dans l’agonie. Il faut s’arracher de ses plus proches et des plus intimes, pour l’imiter. »
 
 

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