En 1984, 29 photographes aux parcours très divers sont envoyés sur le terrain par la Délégation interministérielle à l’Aménagement du Territoire et à l’Action Régionale (DATAR) pour « représenter le paysage français des années 1980 ». Davantage qu’un travail d’inventaire, chacun est encouragé à privilégier son expérience du territoire et sa sensibilité. Il s’agit de produire des images « à hauteur d’homme », de transformer ce que l’on voit au quotidien en paysage. La vue aérienne, par exemple, est proscrite au même titre que les pratiques du photojournalisme. Les artistes multiplient donc les expérimentations visuelles, faisant de cette mission un véritable laboratoire. L’enjeu est de taille : dans une France marquée par le progrès de l’industrialisation et de l’urbanisation, il s’agit de saisir des paysages où cohabitent désormais une église romane, un poteau électrique, une cabine de téléphone et une pompe à essence. Le modèle iconographique de la colline verdoyante sous un ciel serein, avec son bosquet d’arbres, son village et son clocher est mis à mal. Issu d’une tradition qui prend ses racines au XIXe siècle avec, notamment, les Voyages romantiques et pittoresques de l’Ancienne France (publiés de 1820 à 1878) et se développe jusqu’à l’affiche électorale de François Mitterrand en 1981, il est devenu le « masque du paysage de charme », selon les termes de Jean-François Chevrier, que les photographes entreprennent de soulever.

La Mission photographique de la DATAR est l’héritière de projets emblématiques de l’histoire de la photographie, comme la Mission héliographique de 1851 commanditée par les Monuments historiques ou le projet de la Farm Security Administration (1935-1942) qui dresse un portrait de l’Amérique lors de la Grande Dépression. Elle s’inscrit aussi dans la lignée de l’exposition New Topographics présentée en 1975 aux États-Unis, véritable tournant qui contribua à renouveler l’imaginaire du paysage américain en attribuant une place plus importante au quotidien et à l’ordinaire. De même, il faut souligner l’apport des recherches de l’art conceptuel et du Land Art.
Par son ampleur et sa singularité, le projet de la DATAR devint rapidement mythique et certaines images véritablement iconiques d’une époque. Déposés à la BnF, les clichés n’ont jamais été exposés dans leur totalité et les douze vidéos de portraits de photographes, coproduits par l'INA pour l’occasion, constituent un riche témoignage. Leur présentation, presque trente ans plus tard, est donc un événement sans précédent.

Frank Gohlke

Champ de coquelicots, causse Méjean près de Caussignac (Lozère), 1987

Dans son acception commune, le terme de paysage renvoie généralement au versant rural du territoire, couvert de champs et de forêt et ponctués de petits villages. L'américain Frank Gohlke en dresse avec cette image un portrait intemporel, presque bucolique.

Pierre de Fenoÿl

10/7/87, 14h, Tarn, 1987

Pierre de Fenoÿl

23/9/84, 18h, Montagne noire (Tarn), 1984

La commande passée par la DATAR, qui laisse carte blanche aux photographes, n’exige en rien de faire table rase du passé, au contraire. Il s’agit pour les artistes de travailler, en continuité ou en rupture, avec l’héritage visuel qui a contribué à construire une représentation du paysage national depuis le XIXe siècle.
Pierre de Fenoÿl mâtine cette vision bucolique en faisant le choix de vues contrastées aux découpes impeccables. Par ailleurs, il inscrit ses paysages dans un rapport à la durée singulier et baptise ses images du nom de « chronophotographie ».

Raymond Depardon

Série « La Ferme du Garet, dans la plaine de la Saône »

Raymond Depardon jette un regard critique et attendri sur l’exploitation agricole de son enfance. « La Ferme du Garet » alterne les plans rapprochés dans l’intimité de la maison familiale avec les vues du domaine, des champs et des bêtes. Dans ce paysage où règne un silence faussement apaisé, les marques de l’urbanisme contemporain s’insinuent dans le cadre, les lignes électriques quadrillent le ciel, le quadrilatère de tôle masque l’horizon.

Sophie Ristelhueber

« Ouvrages d’art et paysages en montagne »

Sophie Ristelhueber met magistralement en scène dans ses clichés le développement des voiries et ouvrages d’art. La chaussée et les rails traversent l’image de part en part, découpent les reliefs comme autant de symboles de la puissance des aménageurs.

Alain Ceccaroli

Col d’Izoard (Hautes-Alpes), 1985

La route d’Alain Ceccaroli est beaucoup plus sinueuse, elle épouse les courbes du terrain, glisse discrètement dans les plis de la topographie.

Jean-Louis Garnell

Abords du viaduc de l’arrêt Darré, RN 17, environs de Tarbes (Hautes-Pyrénées), 1987

Jean-Louis Garnell

Parc de loisirs de Miribel-Jonaye, Lyon (Rhône), 1988

Jean-Louis Garnell scrute la banalité citadine de lieux anonymes et pourtant familiers. De chantiers en rond-point, il observe avec acuité l’envers des centres-villes, ces espaces de transition et en transition.

Robert Doisneau

Tours Mercuriales, porte de Bagnolet, Bagnolet (Seine-Saint-Denis), 1984

Robert Doisneau

Au Bon Coin, quai du Port, Saint-Denis, 1945

Robert Doisneau revient sur les pas de ses images de la banlieue de Paris réalisées dans les années 1940, au sortir de la Seconde Guerre mondiale. Il redécouvre en couleur ce monde que ses clichés ont contribué à façonner dans la mémoire commune. Le regard du doyen de la mission, grand photographe humaniste, se fait plus critique sur son époque et souligne la fin de l’âge des grands ensembles.

Dominique Auerbacher

Lieux communs nº 42, 1987

Dominique Auerbacher rentre dans la ville, suit les silhouettes qui l’animent, discrètes, souvent immobiles. Le temps semble s’être figé dans ces gestes anodins, dans ces lieux communs, lieux d’une cité générique à l’identité diluée. Sans nous avertir, la photographe nous balade de ville en ville, traverse les frontières et joue des analogies de ces espaces publics quelconques.

Tom Drahos

Noisy-le-Sec (Seine-Saint-Denis), 1986

Tom Drahos

Chevreuse (Seine-et-Oise), 1986

Tom Drahos nous présente le visage d’une banlieue parisienne méconnaissable, en prise avec son époque mais détachée d’une quelconque territorialité. Le paysage est éclaté et forme une collection disparate de vues monochromes. Le parti-pris plasticien du photographe, visible dans l’usage des filtres comme dans le quadrillage des vues, façonne un nouveau rapport au paysage autant qu’au médium.

Albert Giordan

Série « Espaces commerciaux », 1984

Albert Giordan s’engouffre dans les zones commerciales. Grâce au photomontage numérique, prouesse technique pour l’époque, les enseignes publicitaires deviennent des signes cabalistiques qui ornent des cubes de tôles sous un ciel d’un noir profond.

Holger Trülzsch

Série « Psychotopographie d’une ville », Marseille, 1986

Josef Koudelka

Montparnasse, Paris, 1986

Échangeurs et viaduc hérissent la perspective et encerclent des immeubles pris au piège dans les vues de la cité phocéenne de Holger Trülzsch. L’espace urbain s’étend, s’étire, semble ne plus avoir de limite, et même l'identité pourtant bien campée du petit port de pêche du Vallon des Auffes semble se diluer sous la menace des barres de béton.
Josef Koudelka choisit, pour sa part, d'utiliser pour la première fois un appareil panoramique pour photographier les espaces industriels et urbains du Nord, de la Lorraine et, comme ici, de Paris. Le cadre étiré favorise une complexité de la composition tout en conférant un caractère grandiose aux sujets, soulignés par le grain présent dans l’image. Ce choix de format va devenir sa signature dans l’approche du paysage.

Bernard Birsinger

Wittelsheim (Haut-Rhin), 1986

Bernard Birsinger arpente les ruines de l'époque glorieuse de l'industrialisation.

Lewis Baltz

Études des sols à Fos-sur-Mer (Bouches-du-Rhône), 1986

L’américain Lewis Baltz, membre fondateur des New topographics, pose son regard au ras du sol sur les lieux d’une possible renaissance des grands complexes sous le soleil éblouissant de Fos-sur-Mer. Le choix de concevoir son portfolio en 21 tirages montrant les infimes variations du paysage de l’une à l’autre image participe de son approche conceptuelle.

Gabriele Basilico

Le Tréport – Mers-les-Bains (Seine-Maritime), 1985

Gabriele Basilico

Boulogne-sur-Mer (Pas-de-Calais), 1984

Gabriele Basilico

Ault (Somme), 1985

Le photographe italien Gabriele Basilico longe la côte de la Manche, de Dunkerque au Mont Saint-Michel, alternant lieux de villégiatures et zones portuaires, en privilégiant une « lenteur du regard » qui contribue à leur conférer une dimension presque sculpturale.

Marc Deneyer

Saint-Jouin-de-Marnes (Deux-Sèvres), 1986

Suzanne Lafont

Série « Domaine de Certes, Audenge (Gironde) », 1986-1988

Le paysage bascule avec les totems de Marc Deneyer qui se dressent au milieu des champs et s’adoucit dans les compositions de Suzanne Lafont où, les trois éléments, la terre, la mer et le ciel, s’agencent avec rigueur dans une suite de plans échelonnés.

François Hers

Série « Espace de ma chambre », 1989

Avec François Hers, une étape de plus est franchie dans l’épure paysagère et seule la découpe de l’horizon semble faire paysage.

EN
Paysages français Une aventure photographique, 1984-2017