Au tournant des années 2000, le « tropisme géographique » de la création photographique est frappant. Danièle Meaux, auteur de la formule, va même jusqu'à parler de « géo-photographie ». Les collectivités territoriales proposent nombre de résidences artistiques réservées aux photographes tandis que se multiplient les initiatives personnelles, parfois très engagées, cherchant à saisir les nouvelles facettes d’un paysage physique, mais aussi humain, social ou économique. Qu’il s’agisse de valoriser une identité locale ou d’itinérances libres à l’échelle du pays, une ambition s’affiche : donner de nouvelles clés de lecture du paysage français. Nombreux sont les artistes qui cherchent ainsi à repenser l’engagement artistique hors des sentiers du photoreportage.  
Le travail entrepris participe le plus souvent d'une rencontre entre l'identité d'un territoire et celle d’un auteur : les images attestent tout autant du passage d’un auteur sur un territoire que de l'irruption du genre paysager dans la trajectoire artistique d’un photographe. On reconnaitra, par exemple, autant la chromie douce de la campagne française photographiée par Thibaut Cuisset que les verts et placides horizons ruraux de Xavier Zimmermann… ou encore la Corse à travers les fragments aussi poétiques que fugaces qu'en ramène Dolorès Marat.

La recherche visuelle est manifeste dans l’accumulation de marqueurs paysagers comme les belvédères chez Mathieu Farcy, les observatoires chez Brigitte Olivier ou les pylônes chez Xavier Dauny. D’autres séries, de portée plus ouvertement politique, font de ces mêmes marqueurs un instrument de dénonciation : les centrales nucléaires de Jürgen Nefzger questionnent, dans ce sens, assez radicalement notre civilisation moderne. Un autre mode de recherche formelle consiste à décider en amont d’un parcours sur une carte pour jouer du frottement entre le concept et le terrain, comme Baptiste Schmitt parti à la recherche de la fameuse « diagonale du vide », qu’il rebaptise « diagonale aride »,  le long de laquelle l’attendent bien des surprises.

Passage obligé, lieu d’un exercice de style ou terrain d’un engagement politique, le paysage devient omniprésent dans la création photographique des premières années du XXIe siècle.

Elger Esser

Combray (Douville-sur-Andelle), 2010

La richesse et la complexité de paysages façonnés par le temps et les usages sont soulignées par la commande du Pôle Image Haute-Normandie « Paysages, Territoires et Socialisation ». Les héliogravures de Elger Esser, subtiles évocations des toiles impressionnistes et d’À la recherche du temps perdu de Proust, soulignent à juste titre à quel point l’histoire se superpose à ce que nous voyons.

Le bar Floréal : Alex Jordan

Le crassier de Longwy en 1978

Le bar Floréal : Alex Jordan

Trente années après, le crassier a disparu et l’aciérie en dessous a été remplacée par... un terrain de golf

En 1978, lors des grèves dures contre la casse des usines du bassin de Longwy, Alex Jordan et André Lejarre, photographes engagés, graphistes conscients, étaient sur place. Trente ans plus tard, dix photographes du collectif du Bar Floréal (fondé en 1985) reviennent en Lorraine, et font un état des lieux de ce territoire laissé en marge du développement économique depuis lors.

Dolorès Marat

Bastia. Le bateau de ma fenêtre d’hôtel

Dolorès Marat

Bastia. Les jumelles

Dolorès Marat

Bastia. La conversation

Dolorès Marat

Bastia. Le manège

Dolorès Marat

Corte. Les Michelines

Dolorès Marat

Bastia. Le retour

Les styles très reconnaissables de photographes comme Massimo Vitali, Stéphane Couturier ou Dolorès Marat sont convoqués par le Centre Méditerranéen de la Photographie, dont la commande vise à mettre en valeur tous les aspects du territoire corse. Le flou et le surgissement de l’émotion caractéristiques des images de Dolorès Marat reflètent parfaitement la beauté de la région.

Brigitte Olivier

Observatoire #1 (Arcachon), 2009

Brigitte Olivier

Observatoire #4 (Le wharf), 2016

Brigitte Olivier

Observatoire #5 (Cerbères), 2016

L’eau, l'air, l'horizon... très contemplative est l'approche de Brigitte Olivier avec ses « Postes d'observation sur horizons atlantiques et méditerranéens ». Ses cadrages circulaires, évoquant la longue vue des vigies, magnifient une ligne d'horizon minimale, rigoureusement centrée, pour révéler au fil des jours et des nuits les infinies variations de la lumière et des matières, allant parfois jusqu’à se fondre l’une dans l’autre.

Xavier Dauny

Col du Lautaret (Hautes-Alpes), mai 2002

Xavier Dauny

Vière, Prunières, D 409 (Hautes-Alpes), septembre 2002

Xavier Dauny

La Salle-les-Alpes, RN 91 (Hautes-Alpes), septembre 2002

Xavier Dauny

Vière, Prunières, D 409 (Hautes-Alpes), septembre 2002

Chez Xavier Dauny, les pylônes mettent l’accent sur l’histoire à travers la modernisation des territoires. Dépassant les discours les plus courants sur les nuisances visuelles, Xavier Dauny met en exergue le caractère sculptural du pylône et transforme le systématisme de cette construction métallique en une variation musicale, déplaçant ainsi le regard que l’on porte sur ces installations.

Baptiste Schmitt

Avioth (Meuse) / Bunker, 2014

Baptiste Schmitt

Saint-Amand-Montrond (Cher) / Jour de tempête, fortes rafales de vent, 2013

Baptiste Schmitt

Forêt de Tronçais (Allier) / Cette forêt abrite les plus vieux chênes de France, 2013

Baptiste Schmitt

Woinic (Ardennes) / 10 mètres de haut et 15 mètres de long, emblème de la région des Ardennes, 2014

Baptiste Schmitt

Langres (Haute-Marne) / fin d’après-midi printanière, 2014

Baptiste Schmitt

Sommepy-Tahure (Marne) / Ce monument-ossuaire abrite les restes de dix mille combattants tombés sur le front de Champagne, 2014

Baptiste Schmitt

Fayl-Billot (Haute-Marne) / Bordure de la Diagonale, 2014

Baptiste Schmitt

Commercy (Meuse) / Hôtel La Madeleine, 2014

Baptiste Schmitt

Aire de la Guye (Saône-et-Loire), 2013-2014

Baptiste Schmitt opte, dans « La diagonale aride », pour des images qui traduisent la désertification rurale dans un espace géographique s’étendant des Ardennes jusqu’au Cantal, au pied du Massif central. 8 à 12 km de marche par jour lui ont permis de se laisser surprendre par des monuments incongrus et de débusquer nombre de curiosités méconnues.

Bertrand Stofleth

Villeneuve, lac Léman, piscine communale Les Marines, 2013

Bertrand Stofleth s’attache, dans « Rhodanie », à capter des saynètes tantôt mélancoliques, tantôt humoristique, soulignant constructions et usages incongrus de l’espace le long des rives du Rhône, de sa source en Suisse jusqu’à son embouchure en Méditerranée.

Raymond Depardon

Région Lorraine, département de la Meuse, Commercy, 2007

La volonté d’embrasser le territoire français dans sa globalité se transforme parfois en une entreprise totale où chacun de ces panoramas de la France métropolitaine s’apparente à une monographie, de l’auteur comme du pays. La « France des sous-préfectures » de Raymond Depardon, qui nous projette dans un pays d’un autre temps, nourri de clichés, en est l'un des exemples les plus frappants.

Gilles Leimdorfer

Place de la Concorde

Gilles Leimdorfer

Camembert, Livarot et Pont-l’Évêque

De la Place de la Concorde à Camembert, Gilles Leimdorfer sillonne la France et « voyage dans nos lieux communs ». Arpentant une France imaginaire, il emprunte les chemins détournés de notre mythologie nationale. Née du besoin de confronter sa France rêvée à sa réalité, la série qui en résulte se veut « un périple parti d’une France qui n’existerait pas vers une France d’aujourd’hui ».

Thibaut Cuisset

Sans titre (La Margeride, Lozère), 2010

Thibaut Cuisset

Sans titre (Chouzy-sur-Loire, Loir-et-Cher), 2010

C'est vers les campagnes de France, que s'est tourné Thibaut Cuisset pendant des années en refusant la facilité du pittoresque. Une forme de sérénité du regard de même qu’un travail très abouti sur la lumière contribuent à élaborer une vision tout en douceur des bouleversements de la ruralité.

Xavier Zimmermann

Nº 9, 2000-2005

Xavier Zimmermann

Nº 11, 2000-2005

La série des « Paysages français » de Xavier Zimmermann regroupe des vues extrêmement picturales et d'une rigoureuse composition, au sein desquelles de vastes ciels monochromatiques surplombent d’étroites bandes de territoires ruraux à la lisière des villes. Champs et forêts se muent en un véritable « jardin à la française ».

Jürgen Nefzger

Centrale nucléaire de Penly (Seine-Maritime), 2003

Jürgen Nefzger

Centrale nucléaire de Nogent-sur-Seine (Aube), 2003

Jürgen Nefzger

Site nucléaire du Tricastin (Drôme), 2003

Jürgen Nefzger traverse des zones industrielles et touristiques qui défigurent une France immergée dans le flux d’une aliénante consommation de masse. Poussant plus loin la critique, la série « Fluffy Clouds » joue du contraste entre l’insouciance des baigneurs, pêcheurs ou promeneurs et l’omniprésence de la silhouette inquiétante de centrales nucléaires en arrière-plan.

Bertrand Meunier

Danseurs couple : salon de danse, Vierzon, mars 2009

Bertrand Meunier

Portrait majorettes, mère et fille, Bray-sur-Somme, juillet 2010

C'est enfin sur le sentiment d'appartenance que travaille Bertrand Meunier dans sa série « Je suis d’ici » entérinant le passage du paysage au pays, voire au dépaysement. Il revient interroger les lieux de son enfance qui, selon ses dires, « ne le laissent pas tranquille et le poussent à poursuivre une route multiple et subjective pour trouver ses "réponses" ».

Bertrand Meunier

Pavillon, Vierzon, mars 2011

EN
Paysages français Une aventure photographique, 1984-2017