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folio 68
 

 
Belle et vilaine chasse

La religion organise le système du monde médiéval: le péché et la menace de la damnation sont omniprésents. Le Livre de Chasse n’échappe pas à cette systématique. Pour Phébus, la chasse est un exercice rédempteur qui se fonde sur un double postulat: "l’imagination est seigneur et maître de toutes œuvres bonnes et mauvaises" et "l’oisiveté est le fondement de toutes mauvaises imaginations". Aussi le chasseur, s’il remplit parfaitement son office, toujours en action, s’en ira tout droit en Paradis. Mais auparavant, renforcé par l’exercice sain de la chasse, il aura mieux vécu et vécu plus longtemps.
L’ouvrage de Phébus poursuit ainsi une entreprise de salut qui est sa justification. Il se doit d’être exhaustif pour mieux remplir sa mission mais cependant, il conviendra de distinguer dans l’art de la chasse la "droite vénerie" de la "chasse de vilains". 

La droite vénerie met face à face la bête et le chasseur comme dans un duel ; c’est la plus noble des chasses pour au moins trois raisons :
- la hardiesse et l’astuce du chasseur sont mises à l’épreuve dans cette longue poursuite du gibier;
- l’animal est forcé à l’aide des chiens, or la meute est un des éléments caractéristiques de la maison seigneuriale;
- enfin, la chasse à courre est aussi un divertissement qui apporte du prestige auprès des dames et seigneurs.
Plaisir des courses violentes dans les bois, les guérets ou les montagnes, meutes importantes, courage, vaillance et astuces des chasseurs pour déjouer les ruses du gibier, telles sont les caractéristiques de la chasse à courre. S’y ajoute aussi l’amour de la bête contre laquelle on se mesure et dont l’adresse à s’échapper ou la force valorise les efforts déployés.  
  

folio 107 Si, pour des raisons voisines, Phébus considère également la chasse à l’arc comme un exercice agréable, à condition de disposer de chiens qui poursuivront le gibier blessé, pour lui, la chasse à l’aide de pièges ou d’engins s’oppose à la "belle chasse". Le piège n’exige ni courage particulier ni fort investissement. Pourtant, même s’il prétend se censurer, "je ne devrais enseigner à prendre les bêtes que par noblesse et gentillesse et pour y prendre agrément", il procède à l’inventaire des pièges et des ruses dont la diversité et l’ingéniosité témoignent de sa solide connaissance des pratiques en usage. Pis-aller ou activité "d’homme gros et vieilli", cette vilaine chasse, Phébus ne manque pas de la décrire, par souci d’exhaustivité, semble-t-il, mais aussi sans doute pour ne pas bouder son plaisir. La passion de Phébus pour la chasse est illimitée et ses dénégations à répétition, "je n’en dirai d’ailleurs pas plus, car c’est une vilaine chasse", sont là pour nous convaincre du contraire.