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La naissance de la presse
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Cinq siècles d’histoire de la presse
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La caricature et la censure au 19e siècle
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La presse clandestine de la Résistance
La naissance de la presse

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Des « nouvellistes » dans un jardin écoutent la lecture d’une gazette
Le goût des nouvelles a rapidement favorisé les réunions publiques où l’on lisait et commentait les gazettes. Les amateurs d’information qui peuplaient ces assemblées, qualifiés péjorativement de « nouvellistes », avaient à Paris quelques lieux de rencontre privilégiés, comme les jardins du Luxembourg, des Tuileries et du Palais-Royal. C’est certainement l’un de ces cercles qui est ici représenté, dans un esprit proche de la scène de genre que le graveur Dunker composa en 1785 pour illustrer le chapitre CXLIX du Tableau de Paris de Louis-Sébastien Mercier, où était tourné en ridicule « un groupe de nouvellistes dissertant sur les intérêts politiques de l’Europe » et réunissant « sous les ombrages du Luxembourg » une « vieillesse oisive et imbécile ». Il est également possible que le tronc derrière le groupe soit celui de « l’arbre de Cracovie », un célèbre marronnier du Palais-Royal ainsi nommé pour se moquer des « craques » répandues par les gazettes qu’on lisait à son pied. (J.-M. Ch.)
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L’irrésistible développement de la presse
Dès l’extrême fin du 18e siècle, au temps de la Révolution, les journaux parisiens se multiplient et parviennent à de très grandes diffusions. Plus de 100 000 exemplaires partent chaque jour de Paris par la poste en janvier 1791, 80 000 en 1793, 95 000 en décembre 1795. Si l’on ajoute la consommation parisienne, plus ou moins 38 % de la diffusion totale (Paris et province), cette dernière aurait été de 160 000 exemplaires en 1791, 130 000 en 1793, 153 000 en 1795. Selon certains contemporains, elle fut de 150 000 exemplaires lors des élections du printemps 1797. Et l’on ne compte pas les journaux des départements… Qu’on ne s’étonne point de tels chiffres en supposant que les imprimeries de l’« Ancien Régime typographique » – heureuse expression de Roger Chartier –, auraient été incapables de tels scores.
L’ « Ancien Régime typographique »
Dès les origines de la presse, avec la Gazette lancée en 1631 par Théophraste Renaudot, l’« imprimerie de presse » n’est pas vouée au travail beau et bien fait de l’« imprimerie de labeur ou de librairie ». Il faut faire vite, le plus vite possible pour sortir une feuille que les abonnés attendent déjà avec impatience. La composition du texte peut être accélérée en multipliant les ouvriers compositeurs, capables de manier chacun 1 000 à 1 200 caractères en une heure. De même que l’impression : il suffit là encore de multiplier les presses à bras traditionnelles. Enfin, le format in-quarto de quatre pages ou in-octavo de huit pages sur demi-feuille de papier accroît encore la rapidité. Les quatre ou huit pages du numéro étaient composées sur la même forme imprimante, chaque presse permettant de sortir trois cents exemplaires à l’heure.

Le fondateur de la Gazette
Selon une formule conventionnelle du portrait bourgeois au milieu du 17e siècle, Renaudot (1586-1653), reconnaissable à son nez camus, est représenté en homme de cabinet, assis à sa table de travail, avec la touche d’apparat qu’apporte à l’arrière-plan le drapé d’un rideau. Deux ans avant qu’il n’en reçoive officiellement le titre en remerciement de ses services (6 mai 1 646), il est déjà qualifié ici d’ « historiographe du roi ».
Cette qualité témoigne de l’association qu’on continuait de faire entre écriture de l’histoire et rédaction de l’information, présentée comme l’historiographie du temps présent dans la tradition du genre antique des annales : grandissement héroïque propre à couvrir sa dimension pratique de propagande politique. (J.-M. Ch.)
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Après la fondation du Journal de Paris en 1777, les journaux quotidiens se multiplient pendant la Révolution : ils ne peuvent être imprimés qu’en une bonne dizaine d’heures ou un peu plus, pendant la nuit, afin que les premiers exemplaires soient prêts pour la distribution du matin par portage, et que l’on puisse déposer les autres à la poste au cours de la matinée. Quelques grands titres de la période révolutionnaire, diffusés à près de 10 000 exemplaires, sont l’objet de trois éditions, soit trois presses travaillant en parallèle. Et le Journal des débats – tiré à 27 000 exemplaires au printemps 1814, lors de la chute de Napoléon –, de format plus grand que le quarto traditionnel, demande la composition de deux formes, soit deux presses pour un même exemplaire, et fait travailler une petite armée d’ouvriers pour sortir ses cinq éditions : vingt-cinq à trente compositeurs, cinq metteurs en page, vingt à trente pressiers. Il devient certainement fort difficile d’organiser le travail de ces cohortes de typographes, mais l’équilibre technologique est parfait. Les frais, qui sont énormes, sont bientôt réduits par l’apparition des presses « mécaniques » dans les années 1820.

La Gazette
Le 30 mai 1631, Renaudot, protégé de Richelieu, obtint un privilège qui lui permit d’imposer sa Gazette malgré les contestations de la communauté des libraires de Paris et face à la concurrence d’une feuille rivale, Les Nouvelles ordinaires de Jean Epstein.
En contrepartie, le pouvoir royal, au moment où son autorité était encore fragile à l’intérieur du royaume et sa politique extérieure prise dans les complications de la guerre de Trente Ans, disposait d’une publication à ses ordres. Hebdomadaire, elle comptait quatre pages, augmentées dès novembre 1631 de quatre autres pages intitulées Nouvelles ordinaires.
S’y ajoutèrent en 1632 un supplément mensuel intitulé Relationset à partir de 1634 des Extraordinaires sans périodicité fixe, plus proches par leur rédaction de l’occasionnel que du style de la dépêche. (J.-M. Ch.)
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Le Journal de Paris
Le Journal de Paris est le premier quotidien français. Il paraît le 1er janvier 1777. Vendu deux sous le numéro de quatre pages, il est distribué chaque matin entre sept et dix heures après avoir été imprimé dans la nuit à une époque où les gazettes, surtout publiées à l’étranger, sont coûteuses et sortent chaque semaine un ou deux numéros qui arrivent souvent avec retard. Il paraîtra jusqu’en 1840 et comptera parmi ses rédacteurs réguliers des personnalités comme Garat ou Condorcet.
Le journal offre une maquette très moderne avec des rubriques bien séparées et facilement identifiables permettant une lecture rapide. On y trouve des informations pratiques (météorologie, bourse, résultats des tirages de la loterie royale, annonces de spectacle, prix de denrées). La partie rédactionnelle consiste en articles littéraires et chroniques événementielles sur des faits divers remarquables.
Répondant aux besoins des Parisiens, Le Journal de Paris inaugure une formule nouvelle qui va faire du quotidien un élément indispensable de la vie en société. Son tirage atteint douze mille exemplaires en 1790. Pendant la Révolution, les comptes rendus des séances des Assemblées du Le Journal de Paris sont reconnus comme les meilleurs ; ils sont très vivants et assez favorables aux aristocrates.
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Ne dépendant d’aucun obstacle technologique, l’expansion de la presse, malgré les monopoles du système des privilèges et la censure préalable du pouvoir d’État, répond à la seule demande sociale, avivée par l’anxiété de la nouvelle en temps de guerre, puis par une curiosité de plus en plus forte pour les « affaires du temps », termes employés à l’époque pour désigner l’actualité mêlant la politique aux querelles jansénistes et parlementaires, aux scandales de cour, aux grandes affaires judiciaires du siècle des Lumières… On oubliera volontairement ici la presse savante ou littéraire, dépendant des privilèges du Journal des savants (1665) et du Mercure galant (1672), devenu Mercure de France (1724), de même les nombreuses Affiches, annonces et avis divers, dépendant du privilège de la Gazette, pour ne s’occuper que de ce qu’on appelle aujourd’hui la presse d’« information », celle des gazettes.

Presse à bras
Les « gazettes » de l’Ancien régime sont produites sur un matériel d’impression qui ne change pas beaucoup depuis son invention par Gutenberg. Jusqu’au 19e siècle, c’est le règne de la presse à bras. Les journaux, en dépit de leur petit format in quarto et leur faible nombre de pages (quatre, plus rarement huit), mobilisent alors beaucoup d’énergie humaine. Quand les typographes composent la page à la main, caractère par caractère, ligne par ligne, en puisant dans leurs casses, les ouvriers « pressiers » accomplissent leurs gestes de façon répétitive : une fois la forme, qui enferme la composition, ajustée sur le marbre puis encrée à l’aide de balles (boules de chiffon et de cuir imbibées l’encre), on lui applique une feuille qui est alors comprimée par une platine, qu’on descend à la main à l’aide d’une vis en bois, puis qu’on remonte, opération généralement répétée (d’où l’expression de « presse à deux coups » ) avant que l’on retourne la feuille pour en imprimer le verso. Qu’on songe que si le rendement est alors de 150 à 200 feuilles à l’heure, soit environ 2 500 par journée de travail, le lancement du premier quotidien, Le Journal de Paris en 1777, apparaît alors d’une audace inédite, et la floraison des feuilles révolutionnaires (500 titres entre l’été 1789 et août 1792) comme un prodige.
Vers la fin du 18e siècle, quelques menus progrès, tel un contrepoids qui permet au « pressier » de relever automatiquement sa platine sans utiliser la force du bras, ou la modification de la vis de pression, ne changent guère les conditions dans lesquelles sont imprimées les gazettes. À la fin de l’Empire, l’arrivée de la presse anglaise Stanhope, tout en métal et en leviers qui assurent une pression plus régulière et une rapidité d’exécution, accélère le rendement en le portant à 300 feuilles à l’heure.
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Diffusion de la Gazette de Renaudot
Très vite, la Gazette de Renaudot est diffusée hors de Paris, chaque fin de semaine, le vendredi puis le samedi à partir de 1633. Elle utilise peu la poste, dont les services taxés en fonction de la distance parcourue étaient très chers. Les imprimeurs de province passent contrat avec Renaudot pour réimprimer la Gazette, dont un seul exemplaire leur parvient. Multipliée grâce à ses réimpressions, la Gazette pénètre dans toutes les provinces et participe à l’unification culturelle de son espace national de diffusion, contribuant à l’action centralisatrice du gouvernement royal.
Cette feuille étant surtout un recueil de nouvelles diplomatiques et militaires, il ne faut pas s’étonner de découvrir une évidente corrélation entre les cinq phases d’expansion de ses réimpressions et la longue suite des guerres de la monarchie. La guerre de Trente Ans, mais aussi l’importance du public potentiel expliquent les quatre premières réimpressions à Rouen (1631), Lyon (1633), Bordeaux (1638) et Tours (1646). La guerre de Hollande est cause de la réimpression de Toulouse (1673). Les premières difficultés du roi Louis XIV – révocation de l’édit de Nantes en 1685 et guerre de la ligue d’Augsbourg entre 1688 et 1697 – sont soulignées par la fondation de seize nouvelles réimpressions, mouvement confirmé par la guerre de Succession d’Espagne (1701-1714) qui voit neuf autres créations. Et les deux guerres de Succession de Pologne (1733-1738) et de Succession d’Autriche (1740-1748) achèvent d’étoffer le réseau. Trente-huit villes de province bénéficient ainsi d’une réimpression, plus ou moins durable. La presse parisienne inaugure une longue tradition qui perdurera jusque dans les années 1950 : elle est plus diffusée et plus lue en province qu’à Paris. La Gazette diffuse environ 4 000 exemplaires vers 1670, dont 40 à 45 % dans Paris, et 7 800 exemplaires, dont 20 % seulement dans la capitale, en 1750. Durant les guerres, cette diffusion atteint des sommets. En 1758, pendant la malheureuse guerre de Sept Ans, il s’imprime jusqu’à 15 000 exemplaires de la Gazette, dont 3 000 à Paris.
Les gazettes périphériques et l’abonnement postal
Dès les années 1630-1650, des gazettes étrangères, traduites ou rédigées directement en français, sont reçues en France, sans aucune difficulté, grâce à la poste. Contrairement à une légende tenace, il n’y eut rien de moins clandestin. On peut à bon droit parler de gazettes « périphériques », face au monopole de la Gazette.
À la fin du Grand Siècle, se met en place un « double marché de l’information » : dans la Gazette, s’exprimant au nom du roi, le lecteur trouve les seules nouvelles de l’étranger et de la guerre ; dans les gazettes périphériques, venues d’Amsterdam, Utrecht, Leyde, Avignon, etc., il dispose aussi d’une véritable information sur ce qui se passe en France, sur la politique du roi et de son gouvernement. Les gazettes périphériques sont néanmoins tenues à une relative modération d’expression, sous peine de se voir fermer les frontières françaises. Reçues dans le Nord et à Paris, elles aussi sont réimprimées à Genève, Avignon, Bordeaux pour toucher le Midi.

Le Courrier français
En plus des pamphlets politiques et des occasionnels fournissant un récit partisan des grands événements de la Fronde, on compte parmi les mazarinades quelques périodiques. Le plus notable d’entre eux, le Courrier français, était dirigé par les fils de Théophraste Renaudot. Ayant suivi la retraite forcée de la cour à Saint-Germain-en-Laye en janvier 1649, leur père leur confia le soin de publier à Paris, pendant le blocus de la ville, une feuille d’information proche du parti du Parlement. Douze livraisons parurent du 5 janvier au 7 avril 1649, uniquement nourries de nouvelles de Paris et de Saint-Germain. Dès que la paix de Saint-Germain fut signée, le 1er avril 1649, Renaudot veilla à la disparition de cette publication afin de ne pas entretenir de concurrence à la Gazette. (J.-M. Ch.)
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La Gazette d’Amsterdam
La Gazette d’Amsterdam, publiée par Jansz van Swoll de 1663 à 1687 environ, paraissait tous les jeudis, avec, à partir de 1666, un supplément ou « extraordinaire » le lundi. Elle est l’un des principaux périodiques de langue française imprimés aux Pays-Bas au 17e siècle, connus sous l’appellation générique de « gazettes de Hollande ».
Celles-ci occupèrent une place d’autant plus importante dans les réseaux d’information européens qu’au-delà de leurs acheteurs elles faisaient souvent l’objet de lectures collectives, notamment en France. Sans constituer une presse libre, tant leur diffusion internationale les soumettait au bon vouloir des puissances étrangères et aux équilibres diplomatiques du moment, elles venaient toutefois concurrencer sur ses terres la très officielle Gazette de Renaudot. (J.-M. Ch.)
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Ces réimpressions méridionales, de même que celles de la Gazette, disparaissent entre 1740 et 1760 : leurs éditeurs obtiennent de l’administration postale une taxe uniforme et modérée (quelle que soit la distance), qui permet l’innovation riche d’avenir de l’abonnement « franco de port ». Suite à cette baisse des tarifs, le nombre d’abonnés se multiplie. Sanctionnée par le règlement postal du 13 novembre 1763, cette politique de bas prix permit à la poste de maintenir son monopole sur le transport de toutes les feuilles périodiques, même pendant la Révolution, malgré plusieurs tentatives pour le transgresser. La presse parisienne en tira, certes, de grandes facilités de diffusion dans les provinces, mais pendant cent ans, jusqu’en 1856, l’abonnement postal allait l’encadrer et empêcher toute souplesse d’adaptation au marché. Pour l’heure, la Gazette est proposée aux provinciaux dans sa nouvelle édition de quatre pages in-quarto, lancée le 29 avril 1752, moyennant l’abonnement annuel franco de port de 7 livres 10 sous, puis 12 livres quand elle paraît deux fois la semaine à partir de 1762, enfin 15 livres en 1780. Depuis 1759, les gazettes périphériques, bihebdomadaires, sont désormais proposées à 36 livres. Le Journal de Paris, le plus ancien quotidien français, est offert contre un abonnement de 24 livres pour Paris et 31 livres 4 sous pour la province, puis de 30 et 33 livres selon la destination à partir de 1782. Tous abonnements qu’il faut comparer au salaire journalier parisien entre 1775 et 1790 : l’ouvrier du livre (alors le mieux payé) gagne plus ou moins 4 livres, le manœuvre ou crocheteur touche 1 livre 5 sous.

Il Caffè
Indicateur du lien qui s’instaure au 18e siècle entre les gens de lettres et l’espace du café, un lieu propice aux échanges d’idées, le titre même de ce périodique marque la volonté de ses auteurs de créer un journal d’opinion s’adressant à un public plus large que celui auquel était destinée la presse savante. Il Caffè était l’organe d’un petit groupe de jeunes aristocrates lombards gagnés aux Lumières, parmi lesquels Beccaria, qui avaient formé l’Academia dei pugni sur l’initiative d’un spécialiste d’économie politique, Pietro Verri (1728-1797), et de son frère Alessandro (1741-1816).
Commencée en juin 1764, la publication s’interrompit en mai 1766 quand Beccaria et Alessandro Verri partirent pour Paris à la rencontre des philosophes dont ils diffusaient et développaient les idées en Italie. L’audience de ces « bons cosmopolites » préoccupés des progrès des sciences et des vertus sociales, comme les qualifiait Pietro Verri, dépassa le Milanais : dès 1766, l’ensemble des numéros fut réimprimé en deux volumes à Venise et en 1804 paraissait cette réédition milanaise.
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L’émergence d’une opinion publique
On comprend que très tôt se soient développés des systèmes de lecture collective. La rue devient un lieu d’opinion où les badauds échangent et commentent les nouvelles, écoutent les crieurs proposer la Gazette et bien d’autres pièces d’actualité. Ainsi, lors de la querelle du Cid en 1637, l’un des combattants reproche à ses adversaires : « Songez que votre apologie fait autant de bruit dans les rues que la Gazette, que les voix éclatantes de ces crieurs devraient être seulement employées à publier les volontés du Prince et les actions des grands hommes. » La rue est aussi le lieu de l’affiche : parole royale publiée en cérémonie, mais aussi parole de contestation collée rapidement la nuit ou au petit matin, lue ou résumée par un passeur d’opinion et d’information auprès de « pelotons » de passants analphabètes ou non, qui en répètent le contenu aux autres situés trop loin pour voir ou entendre. Les mêmes scènes se répètent pendant la Fronde des années 1648-1653, et lors des accès de fièvre populaire des décennies 1720-1780. Enfin, la rue est le lieu de la lecture collective des gazettes, par exemple à l’automne 1675, lors de la guerre de Hollande. Les libraires du quai des Augustins à Paris « ne se contentent pas de faire crier et débiter [les gazettes d’Amsterdam] par les rues, et les porter par les maisons des particuliers, mais ils les donnent encore à lire publiquement, à tous ceux qui se présentent au-devant de leurs maisons et boutiques, et pour raison du profit qu’ils en tirent ». Inquiète d’une telle concurrence, la famille Renaudot se plaint de ces désordres, auxquels participent les « bourgeois », mais aussi « des filous et autres gens sans aveu ; qui ont accoutumé de s’attrouper, sous prétexte d’entendre la lecture desdites gazettes ». Ces scènes sont fréquentes lors des guerres ou pendant les moments de fièvre politique, à Paris mais aussi en province. À Rouen, en 1750, les gazettes sont lues oralement dans des « pelotons » formés sur les quais du port.

Portrait de Damiens en buste
En 1757, Louis XV est victime d’un attentat à Versailles. Le coupable, Damiens, laquais à la cour, est arrêté et soumis à la « question », c’est-à-dire torturé pour qu’il parle. Il déclare avoir voulu seulement donner un avertissement au roi, qui n’écoutait pas les appels du Parlement concernant la misère du peuple. Transféré à la Conciergerie, il dénonce quelques parlementaires comme complices, puis se rétracte. Il dit seulement : « Si je n’étais jamais entré dans les salles du palais, et que je n’eusse servi que des gens d’épée, je ne serais pas ici. »
Le Parlement, ne voulant pas être mis en cause, exige un procès, et Louis XV, qui avait accordé son pardon au laquais, accepte finalement qu’il soit jugé. Damiens est condamné au châtiment des régicides : poing droit coupé, chairs tenaillées, écartèlement à quatre chevaux.
Cette exécution atroce, car les bourreaux devront s’y reprendre à soixante fois, a lieu en place de Grève, à Paris, le 28 mars 1757 devant une foule nombreuse, qui gronde. Dans Histoire de ma vie, Casanova témoigne : « Au supplice de Damiens, j’ai dû détourner mes yeux quand je l’ai entendu hurler n’ayant plus que la moitié de son corps. »
Damiens, fervent croyant et homme du peuple, est un témoin de ce siècle qui sépare profondément la cour, licencieuse, de ses sujets, rongés par la misère.
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À Roye, en 1757, le régicide Damiens, un domestique, participe lui aussi à des lectures collectives. Le peuple – c’est-à-dire la petite bourgeoisie artisanale et boutiquière, les domestiques, les compagnons ouvriers, les manœuvres – a accès au contenu des gazettes. Les domestiques des grandes maisons et de la moyenne bourgeoisie lisent à l’office ce qui a cessé de plaire ou n’est plus lu au salon. Ils écoutent aussi les discussions politiques des maîtres lors des grandes crises d’opinion du 18e siècle. Ils se font ainsi leur propre opinion et participent à la formation politique des publics populaires réunis chez les limonadiers, dans les tabagies, cabarets et autres tripots, en y lisant à haute voix les gazettes et toutes sortes de brochures plus ou moins licites.
Typologie des lecteurs
Au milieu du Grand Siècle, dans les années 1650, la lecture de la Gazette est encore réservée aux groupes les plus aisés de la société. Parmi les 171 Dauphinois, abonnés fidèles ou éphémères, voire lecteurs occasionnels de sa réimpression lyonnaise diffusée par un libraire de Grenoble, 48 % sont nobles d’épée ou de robe ; les petits robins (procureurs, avocats ou greffiers, 12 %), les administrateurs (également 12 %), le clergé (9 %) laissent peu de place à la bourgeoisie marchande et aux gens de métier (11 %) ; 8 % d’abonnés ou lecteurs ont un statut social indéterminé. Au mitan du siècle suivant, la moyenne bourgeoisie des petits robins, des médecins, mais aussi des patrons du commerce et de l’artisanat, semble de plus en plus nombreuse parmi les abonnés et lecteurs. La réimpression de la Gazette est « achetée » à Rouen, en 1750, par « quantité d’artisans, et de bons laboureurs », « pour la lire dans leur famille ». Et selon son rédacteur Marin en 1773, la Gazette de France « a des abonnés dans chaque classe de citoyens, et elle est lue deux fois par semaine par une infinité de personnes de tous états ».

Liberté de la presse
De 1789 à 1792, la censure exercée par l’Ancien Régime disparaît. Tandis que les journaux se multiplient, toute une imagerie célèbre la liberté de la presse. Ainsi cette scène qui se déroule dans une imprimerie. Fait inhabituel : une foule désordonnée s’y presse, impatiente de lire les nouvelles du jour. La bousculade témoigne de l’enthousiasme et de la soif d’information engendrés par les journaux révolutionnaires.
Au second plan à droite : le compositeur, en suivant des yeux la copie, prend des lettres dans la casse (grand tiroir où sont rangés les caractères), et assemble lettres et mots dans le composteur (cornière métallique).
Au second plan au milieu : un aide encre la forme à l’aide de tampons de cuir garnis de feutre.
Au second plan à gauche, se fait l’impression : la platine portant la feuille de papier est pressée par une vis centrale contre la forme.
Au bord supérieur de la gravure, les feuilles à sécher sont accrochées sur des fils avec des pinces à linge. On peut distinguer les titres suivants : l’Ami de la Patrie, l’Ami des lois, le Clairvoyant, le Courrier des spectacles, le Furet, le Mercure de France, le Messager, le Miroir, Le Père Duchêne, le Propagateur, le Publiciste, le Rédacteur, Le Voyageur… (D. S.)
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Les « chambres de lecture », tribunaux de l’opinion publique
Les gazettes et les journaux accroissent alors leur public parce que leurs lecteurs se co-abonnent à une feuille et la font circuler dans de petites sociétés ou « coteries » de dix, vingt ou trente personnes ; ils peuvent faire encore mieux et louer un local à frais communs, payer le chauffage et l’éclairage, le gardiennage et l’entretien. Ces « chambres de lecture » réunissent généralement des associés de même statut social. On y lit les gazettes et les journaux, on compare leurs contenus, on élabore un jugement critique. C’est une véritable opinion publique qui surgit ainsi et s’épanouit dans les années 1770.
De leur côté, les libraires spéculent sur ce nouveau « tribunal de l’opinion publique » en multipliant les cabinets littéraires, accompagnés ou non de salles de lecture où se côtoient les chalands désireux de lire les nouveautés littéraires, les gazettes, les journaux. Ces initiatives sont favorisées par l’accroissement continu du nombre des périodiques ayant duré au moins trois ans : 15 titres en 1745, 35 en 1760, 68 en 1775, 82 en 1785.

Une marchande de journaux
La presse se développe à partir du 17e siècle autour de deux axes principaux : la gazette politique, très surveillée par le régime monarchique, et les journaux savants et littéraires dont le plus connu est le Mercure Français. Les journaux s’adressent à un public hétérogène et les lectures sont le plus souvent collectives, la population étant faiblement alphabétisée. La presse connaît un nouvel essor avec Les Lumières, puis avec la Révolution française qui sacre la libre communication des pensées et la liberté d’imprimer ses opinions.
« L’ancien régime typographique » (Roger Chartier) mobilise une énergie humaine importante, puisque les typographes composent à la main et que les presses sont à bras. La composition du texte peut être accélérée en multipliant les ouvriers compositeurs, capables de manier chacun 1 000 à 1 200 caractères en une heure, et le nombre de presses à bras traditionnelles.
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Un demi-million de personnes à la veille de 1789
Si l’on évalue l’audience de la seule presse d’information à 6 ou 8 lecteurs l’exemplaire – un correspondant du libraire Panckoucke estime en 1778 à 40 000 le nombre des lecteurs des 6 000 exemplaires diffusés du Mercure de France – Journal de Bruxelles –, on peut estimer que 420 000 à 560 000 lecteurs sont touchés par les 70 000 exemplaires que diffuse la presse d’information au début des années 1780, lors de la guerre d’Indépendance américaine (12 000 Gazette de France en 1780, 14 000 gazettes périphériques, 19 500 exemplaires correspondant aux deux journaux politiques et littéraires de Panckoucke en 1781, 5 000 exemplaires du Journal de Paris, 6 000 exemplaires des deux Affiches de Paris, 13 500 des nombreuses Affiches, premiers journaux des provinces). À la veille de 1789, ces gazettes et ces journaux étaient donc capables de mobiliser un demi-million de personnes désirant connaître, comprendre et discuter une actualité désormais mouvante et foisonnante. Ayant déjà un nombreux public, une nouvelle presse politique et militante pouvait littéralement exploser, enfin libérée des privilèges et de la censure royale.

Le Vieux Cordelier
Camille Desmoulins (1760-1794) est devenu une célébrité du Paris révolutionnaire dès juillet 1789. Journaliste reconnu des Révolutions de France et de Brabant, il est aussi un actif militant qui fréquente les clubs des cordeliers et des jacobins. Proche de Danton dont il sera, avec Fabre d’Églantine, le secrétaire au ministère de la Justice, il est élu député à la Convention. Le 5 décembre 1793, il publie le premier numéro du Vieux Cordelier dans lequel il s’attaque d’abord à la surenchère prônée par Hébert et les cordeliers.
Six numéros paraissent en moins de deux mois et rencontrent un énorme succès. Dénonçant la Terreur, Desmoulins est vite amené à mettre en cause la politique du Comité de salut public menée par Robespierre et Barère. Devenu suspect aux yeux des clubistes, bientôt abandonné par son ami Robespierre qui l’a longtemps défendu, englobé dans le discrédit que Fabre jette sur les amis de Danton, il est guillotiné avec eux le 5 avril 1794.
Entre-temps, le n° 7 du Vieux Cordelier a été saisi ; il revient au libraire Desenne, qui a gardé les épreuves corrigées par Desmoulins, de le publier en juin 1795. Desmoulins, qui en avait remplacé le titre « Le pour et le contre » par « Sur la liberté de la presse », y faisait l’éloge de la liberté de parole anglaise que garantissait l’habeas corpus et de la liberté de la presse comme le meilleur rempart des peuples libres contre les invasions du despotisme : « La liberté politique n’a point de meilleur arsenal que la presse. » (Y. F.)
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Le Tribun du peuple
Le Tribun du peuple, ou le Défenseur des droits de l’homme est la continuation du Journal de la liberté de la presse que François-Noël Babeuf, dit Gracchus (1760-1797), profitant de la liberté qui suit la chute de Robespierre, a lancé le 3 septembre 1794 et dont il change le titre le 5 octobre à partir du n° 23. Le Tribun, que Babeuf rédige seul, est tiré à deux mille exemplaires et compte près de six cents abonnés. Pour cet ancien feudiste que scandalise la répartition inégale de la propriété, le rôle du journaliste est non seulement de « tout dire au peuple » mais aussi d’organiser son combat dans la guerre « perpétuelle » des riches contre les pauvres. Ce n° 34 marque la reprise de la publication du journal qu’avait interrompue l’emprisonnement de Babeuf, arrêté le 7 février 1795 après la saisie de son n° 33 jamais publié.
Babeuf poursuivra sa publication jusqu’au n° 43 du 24 avril 1796, mais dans la clandestinité dès le n° 38. Arrêté de nouveau le 10 mai 1796, il est traduit devant la Haute Cour de justice avec ses complices de la Conjuration des Égaux et guillotiné le 27 mai 1797. (Y. F.)
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Le Père Duchesne
La Révolution française voit se multiplier les pamphlets destinés à mobiliser le public populaire, particulièrement à partir de 1790 quand s’intensifient les luttes politiques parisiennes. Nombre de ces textes polémiques se caractérisent par une forme discursive théâtrale, mettant en scène un personnage populaire imaginaire s’exprimant à la première personne dans une langue imagée.
Parmi ceux-ci, le Père Duchesne de Jacques-René Hébert (1757-1794), lancé en septembre 1790 pour lutter contre La Fayette, est le plus célèbre. Plus de quatre cents numéros de huit pages paraissent jusqu’au 13 mars 1794. Chacun est un monologue centré sur un seul sujet, avec son titre propre, sans numéro ni date jusqu’au 1er janvier 1791. C’est à partir du 4 novembre 1790 que Hébert, pour se distinguer des Père Duchesne concurrents, fait figurer sur la page de titre une vignette où l’on voit son héros en uniforme de la garde nationale, la pipe à la bouche, avec en dessous la légende : « Je suis le véritable Père Duchesne, foutre. » Hébert est guillotiné le 24 mars 1794 avec ses amis du Club des cordeliers. (Y. F.)
© Bibliothèque nationale de France
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Marat, « l’Ami du peuple »
Médecin, physicien, journaliste et homme politique, Marat est député montagnard à la Convention. Il publie le premier numéro de L’Ami du peuple en septembre 1789. Cette publication de 8 à 12 pages, parfois 16, est entièrement rédigée par Marat et verra plus de 600 numéros de 1789 à 1792. Ses tirages sont irréguliers mais peuvent dépasser les 5 000 exemplaires.
L’Ami du peuple se fait l’écho des convictions de son rédacteur : fermement opposé à l’esclavage, il défend aussi l’exécution des prisonniers royalistes après la journée d’insurrection du 10 août 1792. Cette position lui vaudra d’être considéré comme l’un des instigateurs des massacres de septembre 1792. Il finira assassiné par Charlotte Corday, ce qui permit d’en faire un martyr de la Révolution et d’installer pendant quelques mois ses restes au Panthéon. L’événement donnera naissance à une riche iconographie (notamment le célèbre tableau de David figurant le révolutionnaire assassiné dans son bain) ; une autre représentation saisissante est cet exemplaire de L’Ami du peuple, taché du sang même de son auteur.
Bibliothèque nationale de France
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Provenance
Cet article provient du site Presse à la Une (2012), réalisé en partenariat avec le CLEMI et l’AFP.
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