À l'eau-forte et à la pointe sèche
seulement. Au 2e état, des retouches
au burin sont ajoutées, la pointe sèche s'étant détériorée.
Les livres sur la droite sont davantage ombrés par des tailles extrêmement
rapprochées, et les ombres derrière le col, les manches et
les plis du manteau sont renforcées. Seul le 1er état
serait de la main de Rembrandt.
Épreuve sur papier japon doré
BNF, Estampes, Rés. Cb-13a
La signification de cette estampe a fait l'objet des plus
diverses interprétations, depuis le XVII
e
siècle jusqu'à nos jours. Elle représente avant tout
un personnage, sans doute un chercheur – ce que l'on peut déduire
des objets qui l'entourent : livres, documents et instruments scientifiques
– surpris par l'apparition d'une forme lumineuse devant la fenêtre.
Cette apparition énigmatique a pour tête un cercle lumineux
portant une inscription sur laquelle on lit en partant du centre :
I / N / R / I // + ADAM + TE + DAGERAM // AMRTET + ALGAR + ALGASTNA ++.
De la main gauche, il tient un objet rond, un miroir, qu'il montre de la
droite.
Parmi les diverses interprétations qui ont été données
de l'estampe figure en premier lieu celle qui apparaît dans l'inventaire
des planches de Rembrandt que possédait Clément de Jonghe,
inventaire établi en 1679 dans lequel elle est mentionnée
comme
Practisierende Alchemist (Alchimiste au travail) ; mais les
objets qui permettraient de l'identifier comme tel – éprouvettes,
feu, etc. – ne figurent pas sur l'estampe. En revanche, une sphère,
peut-être céleste, occupe une place de choix. Dans l'inventaire
des estampes que possédait Valerius Röver, établi en
1731, cette estampe est signalée sous le titre
Docteur Faust,
que l'on retrouve dans le catalogue de la vente aux enchères Huls
de 1735. En 1751, Gersaint la reprend dans son catalogue raisonné,
le premier que l'on fit des gravures de Rembrandt, comme
Portrait d'un
philosophe ou docteur, connu en Hollande sous le nom de Dr Fautrieus,
consacrant ainsi cette appellation, approuvée depuis qu'en 1790.
Goethe a illustré la couverture de son œuvre homonyme avec une copie
de cette estampe.
Il n'est sans doute pas inutile de rappeler qu'on a retrouvé des
versions plus anciennes de la légende de Faust, dont Rembrandt a
pu avoir connaissance. En effet, en 1650 fut représentée à
Amsterdam une traduction hollandaise de la
Tragique Histoire du Docteur
Faust, de Marlowe, dans laquelle un ange, sous la forme d'un être
lumineux, apparaissait à Faust pour lui dire de ne pas signer de
pacte avec le diable. Wegner signale dans son livre sur la représentation
de Faust (1962) qu'une gravure sur la couverture d'un ouvrage traitant des
pratiques de la magie publié en 1651 ressemble à l'œuvre de
Rembrandt. Toutefois, comme l'estampe ne correspond pas à la représentation
habituelle des personnages principaux du
Faust, Van de Waal (1964)
a pensé que l'on pouvait identifier le savant avec Faustus Socinus,
fondateur de la secte des Sociniens, dont l'estampe concrétisait
les idées par l'apparition et qui soutenait que la Bible n'était
pas un livre historique, mais une pure fiction. Un autre courant d'interprétation
croit voir dans l'inscription des exhortations cabalistiques formulées
par des savants juifs, pratiques qui avaient cours à Amsterdam au
début du XVIII
e siècle. Selon
Bevers, Rembrandt a réalisé une création iconographique
dans laquelle il associe magie et érudition, ce que Goethe incarnera
plus tard dans le personnage de Faust. D'après une théorie
plus récente (De Vries, 1998), qui repose sur la première
lettre de saint Paul aux Corinthiens, l'estampe serait une allégorie
de la foi, montrant que la science humaine, personnifiée par le chercheur,
est limitée et déformée, qu'elle n'existe qu'en tant
que reflet dans un miroir de la sagesse divine – d'où les mots inintelligibles
– et que ce n'est qu'à travers le Christ, représenté
par le mot
INRI, que nous pouvons parvenir à une certaine
connaissance. Ce qui est certain, c'est que cette image semble la synthèse
de deux représentations iconographiques traditionnelles, celle d'un
saint surpris par une apparition divine et celle du savant dans son cabinet
de travail en proie à une idée surnaturelle.
Dans cette estampe, Rembrandt instaure un jeu de lumières et d'ombres
peu fréquent. La luminosité ne vient pas seulement du fond,
de la fenêtre et de l'apparition, mais aussi d'une source lumineuse
dont la provenance est indéfinissable, qui rend presque blancs les
objets sur le côté droit, au premier plan. Cela l'oblige à
les traiter d'une manière très synthétique, comme si
un éclairage d'une telle intensité leur faisait perdre de
leur volume et les aplatissait, tandis que leurs formes se simplifiaient.
Seuls quelques traits indiquent profils et formes, sans effets d'ombre.
Au contraire, les formes que l'on devine au fond et qui entourent l'apparition
sont faites de lignes entrecroisées extrêmement serrées
qui rappellent la gaze.
En plaçant le personnage et, surtout, la table dans un raccourci
très prononcé, Rembrandt réussit à donner une
impression tridimensionnelle et à créer une atmosphère
surnaturelle. La figure du savant a été gravée de main
de maître, en utilisant l'eau-forte et la pointe sèche avec
une extraordinaire liberté et un admirable savoir-faire. L'artiste
accentue à la pointe sèche des zones déterminées,
comme le bas des manches, afin d'établir un contraste avec le haut,
éclairé par le rayon de lumière qui émane de
l'apparition et se projette de toute sa force sur le turban blanc du savant.
Il a gravé le visage avec des traits rapides, assurés, très
éloignés de ceux qu'il avait employés dans des portraits
précédents, comme celui de
Clément
de Jonghe. Il en résulte un dessin d'une extraordinaire modernité.
Dans cette épreuve d'une qualité extraordinaire que possède
la Bibliothèque nationale de France, on peut apprécier pleinement
le tracé des mains de l'apparition qui soutient le miroir face au
disque lumineux portant l'inscription et, sur la droite, une autre figure
couverte d'un voile transparent qui ressemble à de la gaze, gravée
à partir de traits d'une extrême finesse. Cette estampe continuera
à passionner et à intriguer les amoureux de gravure, au même
titre que la
Mélancolie de Dürer ou le
Géant
de Goya.
E. S. P.