Albrecht Dürer

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Étude pour une Sainte Vierge
Cette étude de femme à la chevelure blonde, aux yeux baissés, à l’expression mystique, a suscité diverses conjectures quant à l’identité du personnage représenté et à la date de ce portrait. Les indices manquent pour établir avec certitude son identification et sa destination. Certains historiens y ont vu une étude pour une Vierge, d’autres le portrait d’une femme que l’artiste a connue. L’expression intense du visage, empreint de recueillement, d’émotion, de douceur, nous incline à penser que le maître a représenté la Vierge, en prenant très certainement son épouse pour modèle. Il s’agirait ainsi d’une étude d’après nature pour un tableau religieux.
S’agissant de la datation de cette peinture, plusieurs propositions ont été émises. Une photographie à l’infrarouge permet de distinguer nettement le monogramme et de constater qu’il est identique à celui qui figure sur trois dessins au fusain de 1503. Enfin ce portrait présente des similitudes avec une Tête de la Vierge aux yeux baissés dessinée cette année-là (Strauss, 1503/12).
Cette peinture se trouve à la croisée des chemins entre la Renaissance italienne et le style gothique tardif des écoles du Nord : Dürer utilise la technique de la peinture à la détrempe sur toile qu’il a pu observer dans certaines œuvres d’Italie du Nord, comme celles de Mantegna, à l’occasion de son premier voyage à Venise. Cependant la facture réaliste de ce portrait témoigne de l’attachement du maître à la tradition germanique.
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L’œuvre de Dürer s’inscrit historiquement dans une époque de transition entre le Moyen Âge et la Renaissance. Les grands bouleversements politiques, économiques, sociaux et religieux s’accompagnèrent d’innovations considérables dans le domaine culturel. Les principes nouveaux de la Renaissance furent confrontés dans les pays germaniques à l’influence gothique germano-flamande. Dürer réalisa la synthèse de ses courants dans une œuvre universelle.
Les années d’apprentissage
Dürer passa son enfance dans l’atelier d’orfèvre de son père dont il apprit le métier. À quinze ans, il s’orienta vers la peinture et entra dans l’atelier du peintre Michaël Wolgemut (1432-1519) où se pratiquait aussi l’illustration de livres. C’est là que Dürer dessina sans doute pour les graveurs sur bois, et s’exerça à graver ses premiers bois. C’est là aussi peut-être qu’il découvrit les célèbres gravures de l’école de Ferrare, connues sous le titre d’usage Tarots de Mantegna dont il dessina librement vingt et une figures. Il devait procéder de même plus tard avec d’autres gravures italiennes notamment des estampes de Mantegna. À dix-huit ans, il entreprit son tour de compagnonnage qui le mena à Colmar, la patrie de Martin Schongauer, et dans les citadelles de l’édition, Bâle, où il participa aux illustrations des Comédies de Térence, du Chevalier à la tour et de La Nef des fous, puis Strasbourg. C’est à cette période que se situe le dessin Couple assis jouant au trictrac et dame debout jouant au échecs. Cette formation eut une influence décisive dans l’évolution de l’artiste dont l’œuvre graphique considérable, dessins et gravures, connut une renommée en Europe bien plus grande que sa peinture.
Le voyage en Italie

Le Moulin aux saules ou Weydenmühle
Le paysage, construction de l’espace par l’esprit humain mais aussi nature, air, lumière, atmosphère, s’est formé insensiblement au cours de deux siècles. La découverte de la nature pour elle-même, la réalité du monde extérieur, l’environnement modelé par l’homme, s’exprimeront à la fin du 15e siècle par une vision globale du paysage, et non plus par des éléments juxtaposés ou des plans qui s’étagent comme au Moyen Âge. Une nouvelle conception de l’espace, fondée sur la perspective linéaire en Italie, sur l’observation, l’imitation pure de la nature qui conduira à une perspective illusionniste dans le Nord, se manifeste.
Dürer est l’un des premiers à aborder le dessin de paysage, dès 1493. En 1946, à Nuremberg, il aurait créé Le Moulin aux saules, l’un de ses plus beaux paysages. Il est daté le plus souvent de la fin du 15e siècle, la datation s’échelonnant de 1490 à 1506 selon les historiens ; Strauss propose 1496, ce qui concorde avec l’intérêt de Dürer pour le paysage, et son utilisation fréquente de l’aquarelle rehaussée de gouache, technique que l’on retrouve dans deux autres dessins auxquels Le Moulin aux saules se rattache par l’inspiration, le ciel chargé de nuages et l’eau : L’étang dans les bois et La Maison de l’étang (Strauss 1496/4 et 1496/6).
Le Moulin aux saules est, avec quelques autres aquarelles du maître, l’un des premiers paysages ruraux représenté pour lui-même. Le site identifié se situe au bord de la Pegnitz, un peu en aval de Nuremberg, sur la route de La Halle. Deux moulins se font face : le Kleinweidenmühle à gauche, et le Grossweidenmühle à droite. On distingue des maisons sur pilotis qui bordent le cours d’eau et une passerelle en bois.
L’homme n’est pas figuré mais seulement évoqué par les constructions légères qui s’élèvent entre le ciel et l’eau, dans la campagne. Dürer donne une dimension cosmique à ce paysage, par l’espace, l’atmosphère et la lumière qui l’environnent, par le changement d’atmosphère même qui se produit, fin d’un orage ou soleil couchant dans un ciel haut, tourmenté, rougeoyant. Les teintes du ciel inattendues et si diverses évoquant celles de Grünewald ou d’Altdorfer, les tons contrastés, les différences de textures, l’animation surréaliste de l’ensemble provoquent une certaine tension. L’arbre dressé au premier plan, sur lequel joue la lumière venant de la gauche, semble matérialisé par la densité de son feuillage à l’audacieuse couleur vert-de-gris tempérée par les éclats de lumière. Il paraît immuable et accentue la vulnérabilité, l’impression d’évanescence, des constructions au graphisme délicat et précis fondues dans la transparence de la lumière et de l’eau. Paysage tout à la fois visionnaire et réel, Le Moulin aux saules, d’une modernité surprenante, préfigure le paysage impressionniste.
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De retour à Nuremberg en 1494, il épousa Agnès Frey, et, en automne, partit pour l’Italie, entraîné dans ce voyage par son ami Willibald Pirckheimer qui fut l’un de ceux qui introduisirent l’humanisme en Allemagne. Il se rendit à Venise, et peut-être à Padoue et à Mantoue. Ce séjour fut déterminant pour lui. Il rencontra notamment Jacopo de Barbari qui lui fit entrevoir le secret de la beauté idéale, les nouvelles théories, bouleversant ainsi ses conceptions esthétiques. Durant le trajet de retour, Dürer, sensible aux paysages traversés et à la nature, exécuta une série d’aquarelles révélant un autre aspect de son art, plus proche de l’observation directe que des études influencées par la théorie.
L’atelier de Nuremberg
Puis Dürer ouvrit son atelier à Nuremberg. La cité connaissait alors son âge d’or, rayonnement spirituel et prospérité économique. C’est dans ce contexte très favorable que l’artiste, grâce au mécénat de Frédéric le Sage, et plus tard à celui de l’empereur Maximilien, exécutera plus de soixante-seize peintures, plus d’un millier de dessins sans compter les nombreuses attributions, cent soixante-dix xylographies, une centaine de gravures en taille-douce et, vers la fin de sa vie, écrira trois livres de théorie sur les proportions du corps humain et les lois de la perspective.
De 1505 à 1507, il fit un second voyage en Italie. Il séjourna à Venise, ville avec laquelle Nuremberg, « la Venise du Nord », entretenait des relations commerciales et culturelles permanentes. C’est là qu’il peignit pour l’église de la colonie allemande La Fête du rosaire, l’une des œuvres majeures de sa carrière.

Tête de jeune garçon, penchée à droite
Cette tête à la chevelure blonde, ainsi que la suivante, ressortent nettement en relief sur un fond noir, donnant ainsi une impression de ronde-bosse. La ressemblance dans les traits et l'expression de ces visages nous incline à y voir deux portraits d'un même modèle. Selon F. Fossier « si l'on admet qu'il s'agit de deux sujets différents, idéalisés par la suite et de ce fait rendus très proches, il est vraisemblable d'après la forme du visage, de la bouche, d'après la nature de la chevelure aussi, que les deux modèles étaient allemands plutôt qu'italiens. Ce ne seraient donc pas à proprement parler des esquisses préparatoires mais deux petites toiles indépendantes, de facture très soignée dont l'artiste avait peut-être l'intention de se servir par la suite dans une composition plus grande ».
S'il s'agit d'esquisses, aucune indication ne permet de savoir pour quel tableau elles ont été exécutées. Par leur style et leur technique, ces peintures à la détrempe sur toile se rapprochent de l'Étude pour une Sainte Vierge qui porte le monogramme et la date de 1503. Elles peuvent en être contemporaines : il est fort probable que ces portraits ont été peints vers 1503-1506. En revanche, Panofsky, qui date l'Étude pour une Sainte Vierge des années 1520-1521, rattache ces jeunes garçons à cette période du voyage aux Pays-Bas, en raison de leur analogie stylistique et technique avec la série de portraits exécutés à cette époque sur fond noir. Dürer a d'ailleurs noté dans son Journal que ces deux têtes de jeunes garçons ont été vendues en 1521.
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Tête de jeune garçon, penchée à gauche
Cette tête à la chevelure blonde, ainsi que la précédente, ressortent nettement en relief sur un fond noir, donnant ainsi une impression de ronde-bosse. La ressemblance dans les traits et l’expression de ces visages nous incline à y voir deux portraits d’un même modèle. Selon F. Fossier « si l’on admet qu’il s’agit de deux sujets différents, idéalisés par la suite et de ce fait rendus très proches, il est vraisemblable d’après la forme du visage, de la bouche, d’après la nature de la chevelure aussi, que les deux modèles étaient allemands plutôt qu’italiens. Ce ne seraient donc pas à proprement parler des esquisses préparatoires mais deux petites toiles indépendantes, de facture très soignée dont l’artiste avait peut-être l’intention de se servir par la suite dans une composition plus grande ».
S’il s’agit d’esquisses, aucune indication ne permet de savoir pour quel tableau elles ont été exécutées. Par leur style et leur technique, ces peintures à la détrempe sur toile se rapprochent de l’Étude pour une Sainte Vierge qui porte le monogramme et la date de 1503. Elles peuvent en être contemporaines : il est fort probable que ces portraits ont été peints vers 1503-1506. En revanche, Panofsky, qui date l’Étude pour une Sainte Vierge des années 1520-1521, rattache ces jeunes garçons à cette période du voyage aux Pays-Bas, en raison de leur analogie stylistique et technique avec la série de portraits exécutés à cette époque sur fond noir. Dürer a d’ailleurs noté dans son Journal que ces deux têtes de jeunes garçons ont été vendues en 1521.
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Trois têtes d'enfants
Ce dessin, daté de 1506, représentant trois têtes d’enfants en bas âge, servit sans doute d’étude préparatoire pour les chérubins figurant sur deux tableaux peints par Dürer pendant son second séjour à Venise : la Fête du rosaire (Prague, Galerie Narodni) et la Madone au serin (Berlin-Dalhem, Gemäldegalerie), tous deux de 1506.
Dürer utilise, pour ces Trois têtes d’enfants, une technique influencée par les artistes vénitiens qu’il fréquentait alors : il dessine au pinceau et à l’encre de chine sur un papier bleu, avec des rehauts de blanc à la gouache. En revanche, on reconnaît son style particulier : les coups de pinceau très légers qu’il applique forment des traits parallèles ou croisés, notamment sur les crânes des enfants. Ces hachures, rappelant son art parfaitement maîtrisé de graveur pratiquant des tailles au burin, sont un trait spécifique de Dürer. La façon d’exagérer le volume des crânes des enfants en bas âge est aussi caractéristique de son art. Ils apparaissent ici enflés, énormes, comme atteints d’hydrocéphalie. Dürer a pu également dessiner des nouveau-nés, auquel cas il fait preuve d’un grand sens de l’observation en respectant les proportions de leur crâne : leur front immense représente les trois quarts du visage au lieu de la moitié chez l’adulte. On peut discerner autour du crâne du bébé central, sous l’encre de chine, des traces de gouache blanche : sa tête était encore plus grosse à l’origine. Ces crânes lourds et ronds font pencher la tête des enfants, de côté pour celui du milieu, en arrière pour celui de droite. Bien qu’il s’agisse d’études pour des chérubins, l’expression triste, et même grimaçante pour l’un d’entre eux, s’oppose à la physionomie habituellement souriante, ou du moins paisible et sereine, des angelots. On voit ici les limites de l’influence des maîtres de l’école vénitienne sur Dürer.
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Le voyage aux Pays-Bas
En 1519, Dürer effectua un voyage en Suisse, et l’année suivante, il se rendit aux Pays-Bas, où il rencontra entre autres, l’humaniste Érasme, les peintres Quentin Metsys, Patinir, Lucas de Leyde, Barend Van Orley et étudia les maîtres flamands. Il tint un journal riche d’informations qui est conservé. Son activité créatrice se ralentit. Sensible à la Réforme, l’artiste, éprouvé par les troubles religieux, ne se rallia pas cependant aux réactions excessives qu’ils entraînèrent. Il semble aussi qu’il fut ému par les révoltes paysannes de 1525, sauvagement réprimées. Dürer mourut le 6 avril 1528. Son génie visionnaire, universel, avait été, quelques années plus tôt, consacré par Érasme dans une lettre à Pirckheimer : « Un artiste comme lui serait digne de ne jamais mourir. »

Montagne rocheuse et très abrupte
La biographie du premier paysagiste flamand, l’un des plus grands, est peu documentée, malgré la célébrité qu’il connut de son vivant. Dürer l’appréciait, et le qualifiait de « Gut Landschaftmaster » (bon maître paysagiste).
À une époque où, de part et d’autre des Alpes, la peinture de paysage s’affirmait comme un genre autonome, Patinir en fit l’essentiel de son œuvre. Paysage imaginaire et merveilleux, proche encore de celui des primitifs, et cependant très innovateur par le traitement de l’espace, de la profondeur obtenue grâce aux plans successifs parallèles, de la perspective aérienne. Souvent, dans ses tableaux aux thèmes religieux, le paysage prend une dimension essentielle.
Ce dessin a été rapproché des œuvres de Patinir par Lugt et Vallery-Radot. Le sujet, le rocher à l’aspect visionnaire, est l’un de ses thèmes privilégié. Son aspect visionnaire est accentué par la multiplication des constructions, qui semblent s’encastrer dans la pierre ; sentiers, escaliers taillés dans les parois, chapelles nichées dans les anfractuosités, ermitages ; s’y ajoutent les rares végétaux qui s’y accrochent, et les petits personnages à peine distincts du relief. Le chemin parsemé de sites, qui gravit la montagne et entraîne le regard, la liberté du trait, la spontanéité et la légèreté des hachures, la précision des détails, transmettent à l’ensemble une animation ascendante, fascinante.
Ce rocher a pour origine la symbolique chrétienne médiévale, encore très présente. Il est l’archétype de la montagne sainte du chrétien, en forme de tour naturelle, difficile à gravir, dont l’ascension s’accomplit par un chemin aux marches étroites creusées dans le roc, interrompu par des lieux de prières, différentes étapes de la foi. Cette quête spirituelle mène au sommet et au salut éternel. Ce thème moralisateur, se réfère à La Cité de Dieu (De Civitate Dei), de saint Augustin (354-430), apologie du christianisme, écrite par le théologien et métaphysicien latin vers la fin de sa vie, ouvrage prisé des humanistes et des réformateurs, et encore très apprécié de nos jours. Une autre œuvre de saint Jérôme évoque aussi la montagne sainte, ce qui explique les fréquentes représentations d’un rocher dans les tableaux ayant pour thème ce docteur de l’église. Souvent deux chemins de vie sont proposés, dans les peintures de l’époque, figurés par deux paysages, l’un agréable et facile à traverser, l’autre difficile et accidenté. Le message religieux délivré permettait de satisfaire également l’intérêt croissant pour la nature, qui se manifestait dans le Nord, comme dans le Sud de l’Europe.
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Deux mille dessins et esquisses
L’œuvre graphique de Dürer beaucoup plus abondant que son œuvre peint, lui assura une fortune critique exceptionnelle. Deux mille dessins et esquisses d’Albert Dürer, parmi lesquels de très nombreuses attributions, sont conservés. L’artiste y aborde des thèmes variés : portraits, têtes d’expressions, scènes religieuses et profanes, sujets mythologiques et ethnographiques, académies, paysages, animaux, végétaux, dessins d’architecture et d’ornements, études de draperies. Il utilise des techniques diverses : pierre noire, pointe de métal, pointe d’argent, plume, fusain, craie, pierre de couleur, lavis, aquarelle, gouache, techniques mêlées. Pour obtenir certains effets, il dessine sur du papier teinté ou préparé : papier brunâtre, bleuâtre, bleu, papier préparé vert, bleu, ivoire, rosé, ou encore sur du vélin.

Saint Eustache
Cette œuvre appartient à une série d'études sur la construction du corps du cheval. Cette planche datée de 1501 illustre la légende du général romain Placidus, devenu Saint Eustache après sa conversion, à qui apparaît le Christ en croix entre les bois du cerf qu'il poursuivait. La composition est basée sur une peinture de Pisanello, la Vision de Saint Eustache, actuellement à la National Gallery de Londres. Elle reprend dans ses grandes lignes la partie gauche d'une illustration de la Vie des saints de Voragine publiée à Nuremberg par Anton Korberger, en 1488, et dont certains bois ont été donnés au jeune Dürer. On a reconnu dans les traits de saint Eustache le portrait de Maximilien Ier.
Le paysage inspiré de Van Eyck, est rendu avec une profusion de détails, il annonce certains motifs spécifiques du Danube. Le château perché sur un rocher s'inspire de l'aquarelle de Brême. Une étude pour un des lévriers conservée à Windsor est semblable à une feuille de Pisanello du Louvre. Le cuivre fut plaqué d'or et appartint à l'empereur Rodolphe II. (Source : musée du Louvre)
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Couple assis jouant au trictrac et dame debout jouant aux échecs
À la Renaissance, l’art du vitrail s’était particulièrement développé dans l’Allemagne du Sud. Les vitraux ne décoraient pas seulement les fenêtres monumentales des églises mais aussi les cloîtres, les salles capitulaires, les demeures privées, les tours de château, les auberges, les universités, les hôpitaux et même les établissements de bains. La production des petits vitraux à sujets profanes, disposés autour des armes de la ville ou des armes du commanditaire, connut un grand succès en Allemagne du Sud et en Suisse. L’empereur Maximilien était un amateur des nouveaux médias tels la gravure dont il se servait pour glorifier son règne, ou les vitraux aux thèmes religieux ou profanes, qui décoraient les établissements publics et privés, et embellissaient les cités de l’empire. Les nobles, les évêques et les bourgeois fortunés suivaient cet exemple et étaient devenus la clientèle privilégiée des artistes.
Ce dessin est composé de deux fragments, études préparatoires pour un vitrail quadrilobé, rapprochés sans aucune cohérence, d’autant plus que l’une des scènes est incomplète. Dürer dessina pour les vitraux tout au long de sa carrière. Il travailla pour l’atelier du peintre verrier Viet Hirschvogel l’Aîné, en introduisant à Nuremberg un nouveau style, transition entre le gothique finissant et la Renaissance. C’est surtout à son retour d’Italie en 1507 qu’il fut le plus actif dans ce domaine.
Le graphisme du dessin Couple assis jouant au trictrac et dame debout jouant aux échecs est similaire à celui des dessins des comédies : boucles des cheveux, tracé des visages, drapés, jeu de hachures parallèles avec l’absence presque totale de tailles croisées. Le réalisme de Dürer s’exprime notamment dans le drapé simplifié des vêtements qui souligne la présence du corps ; ainsi en est-il, par exemple, de la femme debout dont l’anatomie se manifeste d’une manière très expressive par l’absence de hachures sur une partie du vêtement. C’est aussi très sobrement que Dürer utilise les plis cassés au sol pour équilibrer ses figures. Cette économie de moyens s’explique par la nécessité d’adapter son dessin au vitrail, comme il l’avait fait pour les illustrations destinées à être gravées sur bois, technique exigeant également une certaine simplicité. Le maître verrier qui exécuta le vitrail conservé au musée de Berlin ne traduisit pas toutes les subtilités du dessin.
Dürer, en privilégiant un graphisme décoratif, établit des correspondances entre les coiffes, les plumes, les boucles et les arbres, les doigts effilés des personnages et les flèches du plateau du jeu. L’élégance de la jeune femme à gauche évoque les gracieuses silhouettes de style gothique international tardif de Schongauer et du Maître du Hausbuch, les maîtres de l’artiste.
L’attribution de ce dessin à Dürer, le premier, semble-t-il, exécuté comme modèle pour des vitraux, permet de repousser son activité dans ce domaine à 1492-1493, et d’établir ainsi le lien entre les dessins pour vitraux du Maître du Hausbuch, vers 1475, et ceux des suiveurs de Dürer, Hans Baldung, Hans Schäufelein, Hans von Kulmbach, vers 1510-1520.
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Trois catégories de dessins se distinguent : les dessins d’après nature, ou plus rarement d’après des œuvres d’autres artistes, répertoire de modèles dans lequel Dürer puisera sans cesse (La Foi) ; les dessins préparatoires à des peintures ou gravures (Christ enfant tenant une couronne, Trois têtes d’enfants, Étude pour une Sainte Vierge) ; les dessins réalisés comme des œuvre autonomes (Le Moulin aux saules, Tête de cerf, percée d’une flèche).

Tête de cerf, percée d'une flèche
Cette Tête de cerf figure parmi les plus belles études d'animaux de Dürer. La qualité exceptionnelle de ce dessin réside dans la finesse du traitement, la délicatesse de la touche et la subtilité des coloris. Le réalisme, la précision du trait et le sens de l'observation, notamment pour le pelage et le regard vitreux de l'animal, n'enlèvent rien à la poésie et à la sensibilité de cette nature morte. On ne peut donc pas douter de son attribution à Dürer, bien que Tietze, en 1928, en ait contesté l'authenticité en raison du caractère inachevé et négligé des bois du cerf : il juge la ramure « fautive et plate », formant un contraste avec le tracé extrêmement fini du pelage. Par ailleurs, certains historiens (Flechsig, Strauss) sont d'avis que le monogramme (AD) et la date (1504) figurant sur cette feuille sont apocryphes : en effet, leurs graphismes diffèrent de ceux qui apparaissent sur d'autres dessins de l'année 1504 et le filigrane, représentant une couronne, une croix et un triangle, est celui qui figure sur les papiers utilisés par Dürer pendant son premier voyage en Italie. Deux autres têtes de cerf (Strauss, 1495/46-47), tracées sur des papiers italiens, présentent d'ailleurs le même filigrane. C'est donc très certainement en 1495, après son séjour à Venise, sur le chemin de retour, en traversant le Tyrol, que Dürer a vu et représenté cet animal, tué par la flèche d'un archer durant une chasse. Ce dessin semble être une esquisse prise sur le vif, qu'il exécuta en 1495 et qu'il retoucha sans doute quelques années plus tard, vers 1502-1504. On peut d'ailleurs remarquer un repentir au niveau du museau, un peu plus long à l'origine. L'analyse de l'évolution de la technique de Dürer confirme cette hypothèse.
Cette feuille a pu servir de modèle pour une gravure au burin, datée de 1502, Apollon et Diane (B. 68), où Dürer représente la tête d'un cerf mort.
Il restitue le monde animal et végétal avec une fidélité au modèle digne d'un naturaliste, qualité jusqu'alors inconnue chez les artistes de l'époque.
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