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L'intérêt
pour une imagination qui découvre la transformation des
êtres a conduit Sartre vers la matérialité
des images. Au lieu d'en rester à la conscience imageante,
il a cherché à comprendre le travail des images,
leurs formes, couleurs et lumières.
À partir des années 1940, sa rencontre avec les
peintres et les sculpteurs modifie profondément son regard.
La description sarcastique des tableaux de musée dans
La
Nausée laisse place à la fréquentation
privilégiée des ateliers d'artistes. Sartre noue
des relations d'amitié avec Giacometti, Wols, Masson,
Calder, Rebeyrolle ou Cartier-Bresson, et il se passionnera
pour le Tintoret et la peinture de Venise. Les textes qu'il
leur consacre témoignent d'une revanche de l'image sur
l'imagination, tant la description s'y attache aux conditions
matérielles des œuvres. À quelle distance regarder
une sculpture ? Comment la forme échappe-t-elle
à l'inertie ? La ligne et le trait ont-ils une autre
fonction que celle du contour ? L'altération des
couleurs contamine-t-elle le matériau ? Telles sont
les nouvelles questions que Sartre se pose devant les images
d'artistes.
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Comment regarder ?
À l'interrogation philosophique "Qu'est-ce qu'imaginer ?"
s'est substituée celle du "Comment regarder ?" Pour
autant Sartre n'a pas ramené l'image au statut d'objet
à disséquer sous l'œil de l'iconologue. Il cherche
encore à poursuivre le processus d'irréalisation
à l'œuvre dans toute présentation imaginaire,
mais le regard s'est désormais incarné en assumant
la singularisation matérielle des images. Certes, Sartre
y retrouve voire y projette ses propres obsessions
imaginaires, et le choix de Masson semble à cet égard
symptomatique. Ce peintre, qui a pourtant été
affilié un temps au surréalisme, l'intéresse
par son traitement de la métamorphose et sa manière
de conjuguer des tendances contradictoires : la répulsion
et le désir, la sauvagerie et l'humanité, la torpeur
et l'envol. Et Sartre tente d'y saisir un devenir-forme non
réductible à la forme graphique, mais pourtant
accessible à partir d'une technique de l'excès.
En découvrant l'engagement des artistes dans la pâte
même de leurs œuvres, il appréhende les matériaux
imaginaires, abandonnant la prétention généralisante
du philosophe en chambre qui construit une théorie de
l'imagination à partir de ses propres expériences
hallucinatoires.
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Pour
un art engagé
Cette conversion aux images ne relève cependant pas d'une
"esthétique" qui ferait de la réflexion sur l'art
l'achèvement d'une programmation philosophique. Fondamentalement,
c'est l'Histoire qui a sorti Sartre de ses fantasmagories solitaires :
la guerre a bouleversé sa vie, l'a coupée en deux,
le plongeant dans le collectif, la boue et la mort. Ses goûts
esthétiques restent liés à cette mémoire
violente, incarnée dans les peintures de Rebeyrolle qui
transforment les hommes en sacs de sang : le lyrisme des couleurs,
la crudité des matières, y incarnent, sans symbolisme,
le maquis limousin, les corps suppliciés que le peintre
retrouvera dans les résistances anti-impérialistes.
Les images sont faites de "ces pulsions élémentaires
et déjà politiques dont les autres affections
ne sont que des variantes". L'engagement de l'art trouve là
sa véritable signification, loin de la version simplificatrice
qu'on a retenue de la littérature engagée. Sartre
l'a toujours affirmé : la création ne tient pas
sa dimension politique d'une intention extérieure, elle
est mue, dans son processus imaginaire, par un désir
d'absolu qui engage tous les êtres.
L'article intégral de François Noudelmann est publié
dans le catalogue
de l'exposition.
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