Jean-Paul Sartre (1905-1980)
Lettre à Simone de Beauvoir : "J'ai compris ce qu'était un arbre"

Vendredi 9 octobre 1931. Manuscrit autographe. 4 f., 27 x 21 cm
BNF, Manuscrits, NAF 25880, f. 49

Dans une lettre sur papier à en-tête de l'hôtel Printania, Sartre, professeur au Havre, raconte au Castor, professeur à Marseille, les mille et un potins de la semaine écoulée, donne des nouvelles des petits camarades et termine en évoquant les démarches pour la publication de "La légende de la Vérité" : "Mardi fut une journée de petit professeur modèle [...]. Je suis allé déjeuner au restaurant dans ce quartier du Havre que j'aime tant et que j'ai décidé de faire paraître dans le factum sur la contingence." Ce même jour, au cours d'une promenade dans le jardin public, il s'est longuement attardé devant un arbre : "Il était très beau et je n'ai pas craint de mettre ici deux renseignements précieux pour ma biographie : c'est à Burgos que j'ai compris ce qu'était une cathédrale et au Havre ce qu'était un arbre.". Avec son décor havrais et le personnage de l'autodidacte qui ne va pas sans évoquer Bouvard et Pécuchet, le texte très abstrait de "Melancholia", qui, grâce à Simone de Beauvoir, a pris une dimension romanesque, a gagné aussi un certain ton flaubertien : "J'avais commencé Melancholia comme un essai, puis sur ce conseil ingénieux, je changeai tout : un homme vivant au Havre que j'appelais Bouville, seul et absorbé dans un travail d'histoire, découvre l'aspect nauséeux du monde, en se promenant à travers la ville. D'abord il le découvre partout, sans trop saisir ce que c'est [...] et comprend enfin, devant un arbre du jardin public, ce dont il s'agit." (Matériaux autobiographiques)