Albrecht Dürer (1471-1528)
Melencolia I

1514. Gravure au burin sur cuivre. 24,2 x 19,1 cm
BNF, Estampes, Ca-4-boîte B74

Ce motif de la main appuyée est courant dès le Moyen Âge. Il désigne non seulement la melencolia (ou melancholia), mais aussi l'acedia (le dégoût, l'indifférence) : l'état de langueur ou d'incapacité d'élever son âme à Dieu, et donc de péché. Cette gravure a été réalisée l'année de la mort de la mère de Dürer. Cette date ainsi que l'âge de l'artiste apparaissent dans le carré des chiffres, mais inversés. Beaucoup d'objets symboliques - sablier, balance, équerre - symbolisent le doute vis-à-vis de la science, l'angoisse devant le temps et, avec l'enfant qui figure au milieu de la composition, le regret pour l'artiste de ne pas avoir eu d'enfant... bref, un mal de vivre métaphysique. Le journal de La Nausée, avant que ce titre ne fût proposé par Gaston Gallimard en 1937, était intitulé "Melancholia", ce qui correspond à la crise dépressive que Sartre connut à son arrivée au Havre en 1934, crise aggravée par la prise de mescaline au cours de l'année 1935. Le terme de "nausée" reprendra toute la charge d'angoisse devant l'existence qui se trouve dans Melencolia I et qui avait fasciné les romantiques : Gautier, Nerval, Hugo, Michelet. George Bauer, auteur du livre Sartre and the Artist (University of Chicago Press, 1969) fut le premier à étudier cette filiation entre Dürer et Sartre et à y consacrer un chapitre.