Les Mots (1964)
  Un enfant orphelin de père à onze mois, élevé par ses grands-parents maternels et sa mère – avec en toile de fond l'Alsace occupée, la Première Guerre mondiale et la révolution russe –, un "petit-bourgeois" doué et cabot dont la lecture et l'écriture sont les premiers compagnons de jeu découvre – à l'occasion du remariage vécu comme une trahison de celle qui était aussi un peu sa grande sœur et sa meilleure amie –la violence et sa laideur. Parvenu au milieu de sa vie, devenu célèbre, homme de lettres engagé, philosophe reconnu, il se penche sur ses premières années et tente d'expliquer, à travers sa névrose, sa passion des mots et son amour des livres, comment il est devenu écrivain.
Lorsque sa route croise celle des communistes, lorsque Sartre s'intéresse au sort d'Henri Martin et tente d'oublier la littérature pour devenir l'écrivain "en situations" et se lancer à corps perdu dans le militantisme, alors le besoin de comprendre son enfance le conduit à commencer "Jean sans terre", première version "plus autobiographie politique qu'individuelle". Pendant des années, tout en continuant d'écrire des textes de circonstance, des essais philosophiques et des plaidoyers politiques, il noircit des blocs entiers de pages, toujours de même format, où il entremêle à sa propre histoire celle, aussi complexe, de son époque.
   
   
   
Repris rapidement en 1963, le récit fut arrêté aux frontières des années d'enfance et les milliers de feuillets furent remaniés, récupérés tels quels de versions précédentes ou réécrits, raturés, brouillonnés à en donner le tournis, ramenés enfin à deux cent cinquante-trois pages : un petit chef-d'œuvre dédié "À madame Z", d'abord publié en novembre-décembre 1963 dans la revue des Temps modernes puis en janvier 1964, en édition originale, chez Gallimard.
La même année, le prix Nobel de littérature fut officiellement décerné à Jean-Paul Sartre, qui le refusa. Ce refus fit naturellement scandale et fut diversement interprété, les uns ne voyant là qu'une manifestation d'un orgueil démesuré, voire même un "coup" publicitaire, tandis que d'autres, sans doute plus proches du philosophe, approuvaient son refus "de se laisser transformer en institution".