Un nouvel intérêt
d'après Bernard Marbot

On s'aperçoit depuis quelques années que des archives publiques et privées conservent des photographies anciennes du Japon : ces images méritent l'attention et le respect que l'on porte aux enluminures médiévales. Attention à l'égard du sujet : la façon d'être et de vivre d'une société, l'environnement qui était le sien avant qu'un profond bouleversement n'en supprime pour toujours les manifestations et les traits millénaires. Respect à l'égard du travail : à l'époque, chaque épreuve positive réussie est le maillon ultime d'un processus manuel complexe qui, de la préparation des surfaces sensibles à la repique des tirages en passant par le cadrage du motif et la prise de vue, exige un réel savoir-faire artisanal. S'il n'est pas forcé d'accomplir lui-même toutes les manipulations requises pour réaliser un cliché et en tirer des épreuves, l'auteur y consacre cependant plus d'heures qu'aujourd'hui. Il faut ajouter ici le coloriage des épreuves, non que les ateliers européens l'aient ignoré, mais les artistes japonais s'y adonnent couramment, témoignant en sus d'une délicatesse et d'une dextérité remarquable. Bref, la réalisation complète d'un tirage demande alors plus de temps qu'un dessin. L'avantage sur l'iconographie traditionnelle ne tient donc pas dans la facilité d'exécution ; il réside dans la multiplication (limitée) de l'image et dans l'exactitude (relative) de la représentation.

 

Des photographies aux gravures

Ce patrimoine iconographique eût-il péri tout entier que des fragments en étaient tout de même transmis par les auteurs de livres illustrés faisant appel à la photographie de leur époque. Héritage amoindri dans la mesure où l'intégrité de la représentation initiale n'est pas garantie : à défaut d'un procédé photomécanique sûr, la transcription passe par le mode traditionnel de la gravure qui laisse au dessinateur une grande latitude d'interprétation. Les contraintes de mise en page, le format de la publication entraînent des recadrages et des amputations. Le cas inverse d'une illustration montrant du cliché original plus de matière que les tirages survivants est peu fréquent.


Le goût des graveurs et du public pour le pittoresque mène à l'adjonction ou à la réintroduction dans la scène d'éléments que l'objectif de toute façon n'aurait pu enregistrer à cause de l'insuffisante photosensibilité des méthodes au collodion ou à l'albumine. Le ciel vierge d'une vue de Nagasaki se charge de nuages dans la planche réalisée pour Humbert par Eugène Cicéri. Les motifs de ces changements ne sont pas toujours évidents bien qu'une intention précise ait pu guider la main de l'artiste. Beato a photographié plusieurs fois la statue colossale du Bouddha érigée à Kamakura : lui-même, du moins on peut le supposer, apparaît sur une prise de vue avec un congénère et quatre Japonais. Immolés sans doute sur l'autel de l'exotisme, les deux étrangers ont disparu de la version que publient Humbert et Cotteau (l'un pillé peut-être par l'autre). En outre, l'emploi de photographies n'est pas signalé à tous coups et les sources sont rarement indiquées. C'est par la confrontation des gravures avec les photographies des collections qu'on observera, par exemple, que l'œuvre de Beato n'a pas peu contribué à l'illustration des textes.

 
 en savoir plus :
Claude Estèbe, « Les premiers ateliers de photographie japonais 1859-1872 », Études photographiques, n°19, décembre 2006, mis en ligne le 27 août 2008.


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