Les canaques

par Eugène Josset

"Le capitaine Martin parla ensuite des indigènes de la Nouvelle-Calédonie : les canaques. Il montra à ses neveux une gravure représentant les hommes noirs de haute stature. Les uns avaient pour tout vêtement un simple morceau d'étoffe retenu à la ceinture ; un autre avait un chapeau et un gilet, mais point de pantalon, et cet accoutrement ridicule fit rire aux larmes le petit Paul. Les rires redoublèrent quand, après avoir regardé plus attentivement, il découvrit que ces Canaques s'étaient logés de gros morceaux de bois dans le lobe de l'oreille ; l'un d'eux y avait même passé le tuyau de sa pipe.
Quand aux femmes, Paul déclara qu'elles étaient bien aussi laides que des guenons, ce qui était presque vrai : ces malheureuses, condamnées par leurs époux aux plus durs travaux, sont flétries de bonne heure, et leur chevelure crépue, leurs oreilles déchiquetées ne les embellissent pas, au contraire.
- Ces pauvres créatures sont bien à plaindre, dit M. Martin. Les canaques les tiennent dans un état de servitude qui inspire la pitié. Elles ne doivent approcher de leurs maris qu'en rampant.
- Pauvres femmes ! dit Paul qui avait cessé de rire. Ces Canaques sont donc bien méchants ?
- Ce sont des sauvages, voilà tout. Ils auraient grand besoin d'être civilisés. Malheureusement, ils préfèrent vivre à l'écart.
Ils savent cultiver la terre, mais ils sont tellement imprévoyants qu'ils mangent gloutonnement leur récolte en peu de jours ; puis, pendant de longs mois, ils sont obligés de se contenter des mets les plus répugnants : outre les sauterelles et les chenilles, ils mangent la vermine, qui pullule dans leur épaisse chevelure, et une espèce de terre molle qui engourdit l'estomac, apaise la faim, mais ne nourrit pas.
Avant l'arrivée des colons français, ces sauvages étaient anthropophages. Le premier effet de la civilisation a été de faire cesser cette atroce coutume. Presque tous les Canaques se sont convertis au christianisme ; mais beaucoup regrettent au fond du cœur le temps où ils pouvaient dévorer en paix le corps de leur ennemi, tué à la guerre.
Les sauvages, les Canaques en particulier, sont de grands enfants ; comme les enfants, ils ne comprennent pas bien la nécessité du travail : ils préfèrent endurer les privations, le froid, la faim, plutôt que de s'astreindre à un labeur régulier."
Eugène Josset, À travers nos colonies. Livre de lectures sur l'histoire, la géographie, les sciences et la morale, Cours moyen et supérieur, Paris, Armand Colin, 1900, p. 297-299.
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